Manoel de Oliveira réalise « Belle toujours » à quatre-vingt-dix-huit ans. C'est le film d'un homme qui n'a rien à prouver et maîtrise son art à la perfection. Tout frappe par sa nécessité: les plans (cadrage, lumière), comme la structure (rythme, séquences...). Tout est beau et tout s'écoule sans heurts, oscillant entre lyrisme (appuyé par la Huitième Symphonie de Dvorak) et intimisme. Oliveira filme des surfaces, des drapés, des statues, les ors de Paris; mais par de subtiles évocations, par de légères failles (souvent le regard seul du vieux Husson), l'image devient pleine de suggestions, s'enrichit de pensées confuses et de réminiscences. « Belle toujours » et le Paris qui y est mis en scène peuvent être vus comme l'analogue même de Séverine dans « Belle de Jour »: une beauté pure, classique, un visage clair, mais une âme trouble et perverse. Certes, l'étrange n'est pas toujours masqué, et à plusieurs reprises, fidèle à la tradition surréaliste, Oliveira joue avec l'absurde et le bizarre. Mais ce n'est pas avec de gros sabots qu'il s'y livre. En réalité un seul élément-image peut être clairement dit surréaliste: l'apparition d'un coq dans un palace parisien. Tout ce que le film contient explicitement d'étrange, de décalé provient du texte: dialogues qui tournent en rond, élocution mécanique... Oliveira joue avec notre désir de savoir, nous qui avons vu « Belle de Jour » (le film perd de son intérêt pour qui ne l'a pas vu): qu'a dit Husson, que désirait véritablement Séverine? Evidemment, il ne va pas répondre à ce que Buñuel a laissé en suspens! Les conversations deviennent absurdes ou stéréotypées parce qu'est vain le désir d'explication. Husson (Piccoli, absolument parfait), en alcoolique et pervers fatigué, reste seul lucide face à une femme qui, quoiqu'elle en dise, ment aujourd'hui comme hier. « Belle toujours » est une petite chose, un rappel, une variation, mais l'air de rien, une vraie leçon de cinéma.