Douze ans après "L’Etrange Noël de M. Jack", voici donc le nouveau film d’Henry Selick (qui avait réalisé entre-temps "James et la pêche géante"), entièrement réalisé en stop-motion (à l’exception de certains éléments en 3D) à l’aide de maquettes et figurines. Un côté artisanal qui tranche avec le tout 3D de l’animation depuis le succès des excellents films des studios Pixar, suivis des films "Shrek" et "L’Age de Glace" qui ont redéfini en l’espace de quinze ans la manière de faire de l’animation et ont relégué la 2D à un rang beaucoup plus mineur (essayez de vous souvenir du dernier film mémorable d’animation en 2D américain que vous ayez vu…). Ce magnifique conte de fées aux allures si particulières nous conte l'histoire de Coraline Jones, qui est une jeune fille douée d’un fort caractère, et fort gênée d’avoir à suivre ses parents dans une maison campagnarde ennuyeuse, loin de ses meilleurs amis. Ses parents, accaparés par la rédaction d’un guide botanique, ne prêtent guère attention à la jeune fille. Aussi, lorsqu’elle découvre, cachée dans la grande maison qu’elle est venue habiter, une porte mystérieuse pour un monde baroque et enchanteur, miroir de son monde réel, mais où l’attendent deux parents aimants, gentils et attentifs, Coraline est bien prête à se laisser séduire par son "autre famille". Mais cet autre monde, où les gens portent des boutons de culotte en guise de yeux, pourrait se révéler plus dangereux qu’il n’y paraît… La filiation avec "L’Etrange Noël de M. Jack" (1997) s’impose immédiatement, non seulement parce que Henry Selick avait réalisé ce dernier (dont le scénario était signé Tim Burton, dont le nom avait quelque peu occulté le magnifique travail de réalisation de Selick) mais aussi et surtout parce que "Coraline" est un conte moderne, sombre et gothique, bien éloigné de l’univers mielleux et bien plus rassurant des films Disney, qui avaient souvent cruellement aseptisé les contes originaux dont ils s’inspiraient. Ici, l’émerveillement se mêle à l’angoisse dans ce film rudement bien mené, qui n’effrayera sans doute pas que les plus jeunes. Et autant la première partie du film est idyllique pour la jeune héroïne qui voit ses moindres désirs exaucés par ces doubles fantasmés de ses parents (qui ont néanmoins des boutons de couture à la place des yeux), autant le retournement de la situation laisse très vite la place à un univers sombre et anxiogène, où l’on ne tarde pas à retrouver nos peurs d’enfants. L’histoire de Neil Gaiman (auteur à succès des comics "Sandman" et du roman de heroic fantasy "Stardust" entre autres), qui prend sa source dans le conte de Lewis Carroll "Alice au pays des merveilles", est particulièrement novatrice en cela qu’elle réussit à transposer la traversée du miroir de sa jeune héroïne dans un cadre moderne tout en restant hautement personnelle (les enfants d’écrivains frustrés, ça sent le vécu !), parvenant à rendre des objets aussi inoffensifs que de simples poupées de chiffon particulièrement terrifiants, le tout en mêlant émerveillement et angoisse (la scène du spectacle dans le théâtre en est tout à fait représentative). Quant à la réalisation de Henry Selick, elle est d’un brio et d’un réalisme saisissants et on oublie bien vite que les personnages ne sont que des marionnettes. L’inventivité visuelle est assez étourdissante et je pense qu’on saura enfin en attribuer tout le mérite qu’il se doit au cinéaste, étant donné que "L’Etrange Noël de M. Jack" était plutôt considéré comme un film de Tim Burton pour son univers gothique et effrayant. Le rythme du film lui-même est parfait et la dernière partie pourrait sans problème se mesurer à la tension des thrillers actuels, on reste tout simplement scotchés. D’ailleurs, on ne saurait trop conseiller aux parents de ne pas emmener des enfants trop jeunes voir le film : en-dessous de sept-huit ans (et encore…) le film est sans doute un peu trop angoissant. Quoique, après tout, les contes dans leur forme originelle étaient racontés aux enfants, les psychanalystes ayant d’ailleurs montré que ces contes, bien qu’effrayants, étaient formateurs pour les enfants et non traumatisants. Peut-être s’agit-il là des dommages collatéraux des films Disney (que j’aime vraiment beaucoup par ailleurs), qui nous ont habitués à trop de douceur et nous font croire (ainsi qu’aux producteurs) que des films plus sombres, même dans la structure des contes, traumatiseraient les enfants à vie ou les transformeraient en psychopathes… Quoi qu’il en soit, "Coraline" est un film envoûtant et remarquable qui (avec un peu de chance) relancera peut-être l’animation en stop-motion qui montre une fois de plus qu’elle n’a pas à rougir devant les films en images de synthèse. Mais même si le film fait parfois très peur et même s’il semble s’adresser à un public adulte en proie à la nostalgie, il serait dommage de ne pas en faire profiter les vrais enfants, ne serait-ce que pour le discours pertinent qu’il délivre en filigrane. En effet, bien que l’astuce principale du long-métrage, à savoir le passage du monde réel à un univers parallèle (la "doublure" d’une maison réversible pour prolonger la métaphore couturière), ne soit pas inédite et puise ses références, peut-être inconsciemment, dans une histoire comme "Alice au pays des merveilles" par exemple, son traitement n’en demeure pas moins original dans son aspect anti-utopique, ce qui peut paraître paradoxal dans le contexte d’un film d’animation. Ainsi, "Coraline" est un conte de fées noir, gothique, poétique, profond, beau, avec des décors gothiques et sublimes dignes d'un film de Tim Burton, à l'ambiance angoissante, au propos réaliste et au parfum vénéneux. C'est définitivement un petit bijou, fruit d’un travail remarquable qui laisse clairement pantois d’admiration. C'est une perle du cinéma d'animation à découvrir bien entendu sans plus attendre si ce n'est déjà fait