Il n'est jamais facile de réaliser un film sur l'histoire récente, par manque de recul, mais aussi parce qu'il faut incarner des personnages, vivants ou morts, que l'on a tous à l'esprit. Et donc les faire accepter aux spectateurs sous de nouveaux visages. Stephen Frears a résolu ces deux problèmes. Le premier, grâce à une plongée dans l'intimité des protagonistes, doublée d'une certaine hauteur de vue et d'un sens dramatique qui s'expriment sous la forme d'une petite tragédie shakespearienne sur le pouvoir. On trouve d'ailleurs en exergue du film une citation de la pièce Henry IV : "Uneasy lies the head that wears the crown", traduit ainsi : "Il est agité, le sommeil de la tête qui porte couronne." Pour le second problème, la seule solution était un casting inspiré et irréprochable. Il l'est. Helen Mirren, en Elizabeth II, est extrêmement convaincante. Port altier, intransigeance hautaine, orgueil blessé... Elle joue avec d'infinies nuances. De son côté, Michael Sheen (qui avait déjà collaboré avec Stephen Frears pour Mary Reilly) surprend agréablement dans le rôle de Tony Blair. Sourire ultrabright, visage très découpé, il donne à son rôle un enthousiasme et une sensibilité très intéressantes. Quant à Diana, au coeur du drame, elle n'est représentée qu'à travers des images d'archives, ce qui permet au réalisateur de rapprocher habilement fiction et réalité.
Sur le fond, tout le film est basé sur l'opposition entre tradition et modernité. D'un côté, la famille royale, engoncée dans un système féodal dépassé et refusant d'accorder le moindre honneur à la défunte, ex-princesse divorcée. De l'autre, le peuple, qui désavoue les valeurs de cette monarchie ou, du moins, lui demande de les assouplir. Et au milieu, en arbitre de ce qui est devenu une affaire d'État, Tony Blair, l'élu du peuple, qui sait qu'il doit sauver la monarchie pour pouvoir gouverner.
Deux scènes fortes. La première : dans un salon de Balmoral, alors que la télévision diffuse les hommages de Clinton ou Mandela à Diana, la famille royale parle de chasse à courre... La seconde, en écho à la première : seule dans la nature, Elizabeth II croise un cerf, noble, majestueux, poursuivi par des chasseurs. Elle semble s'identifier à lui. Tous deux, d'une certaine façon, jouent leur tête.
L'histoire aboutit finalement à une révolution, sans tête coupée (en tout cas, pas celle de la reine...), sans abolition de la monarchie, mais une révolution quand même, dans la mesure où la reine s'incline face à la pression populaire et ravale son orgueil. Un compromis politique pour survivre et durer, conserver une forme d'autorité, même sans pouvoir, et maintenir les apparences tout en acceptant le changement d'époque.
Stephen Frears et son scénariste ont sûrement réalisé ce qu'on pouvait faire de mieux sur ce sujet peu cinématographique et casse-gueule. Ni monarchiste, ni anarchiste. Juste et intelligent.