Comment une suite peut-elle être émotionnellement plus réussie que l’œuvre d’origine ? Grâce au temps qui passe et imprime dans nos mémoires les péripéties des personnages et l’émotion que nous y rattachons.
En l’occurrence, cette aventure commencée en 1976 raconte l’histoire d’un parfait loser, paumé au fin fond de Philadelphie et nous conte la chance incroyable qui lui est offerte d’accéder au titre sportif le plus prestigieux et sa volonté de « tenir la distance » plutôt que de gagner le match, en gagnant par là même sa propre estime et l’amour de sa vie. Les épisodes suivants nous expliqueront comment il est obligé de remonter sur le ring pour, cette fois, devenir champion du monde alors qu’il devient père dans le même temps. Puis ce sera la continuité dans l’adversité : la perte du titre et sa reconquête et la mort de son entraîneur de toujours. Ensuite, son meilleur ami mourra dans ses bras, sous les coups d’un boxeur soviétique impitoyable et la revanche à suivre. Enfin, la retraite et la « renaissance » à travers un jeune boxeur qu’il doit entraîner, en délaissant son fils.
Tout était dit, Sylvester STALLONE avait fait le tour de son personnage et de ce qu’il pouvait lui opposer, mêlant intimement à chaque fois sa vie et son miroir de cinéma. Pourtant, trente ans après la création de ce personnage mythique, il allait revenir une ultime fois, et contre toute attente, sur le ring. Cette fois-ci, pas de faute de goût, d’erreur de scénario : tout fonctionne, s’enchaîne, s’imbrique parfaitement pour nous mener à un climax pugilistique et émotionnel jamais atteint. Car si les Rocky sont toujours empreints d’humanité, d’humilité et de sensibilité, nous atteignons avec cet ultime épisode un paroxysme entièrement dû à l’affect accumulé durant toutes ces années. Car, pour qui a connu Rocky, et l’a suivi dans ses pérégrinations sentimentalo-sportives, tout ici sent la fin, mais jamais le réchauffé.
Stallone nous gratifie d’un personnage qui a vieilli, ne le vit pas très bien, est animé de regrets, voire de remords et va, une fois de plus, régler ses comptes sur un ring. Mais pas par un match de championnat où il doit briguer un titre. Non, il s’agit d’un match exhibition contre le jeune champion du monde, mal aimé du public. Mason DIXON est un boxeur doué, mais pas que pour le sport. Il gère ses matchs comme sa carrière et les passionnés le lui reprochent, regrettant des champions populaires comme Rocky. Dans le même temps, Rocky tient son petit restaurant, ouvert avec Adrian, sa défunte épouse. Dès le début du film, Sly nous cueille au vif et au cœur : Adrian n’est plus et, forcément, l’histoire sera bancale. Car la femme de Rocky était son ancrage dans la réalité, sa boussole, celle qui le guidait autant qu’elle l’aidait à prendre ses décisions. La balade commémorative du début qui fait tant de mal à Paulie, le beau-frère de Rocky, est profondément émouvante car elle impose un homme qui vit dans le passé, n’accepte pas la disparition de sa femme, mais continue d’avancer péniblement. Ce sont ses retrouvailles avec la petite Marie, personnage croisé dans Rocky, qui vont lui donner la force de se lancer un nouveau défi et d’exorciser ses démons, tout en retrouvant son fils, avec qui une réelle distance s’est créée, malgré un amour sincère et réciproque.
Une fois toutes ces bases dramatiques posées et développées, vient le temps de l’entraînement et du match. Une fois encore, Sly parvient à innover en termes de mise en scène de combat. Prenez chacun des épisodes et vous constaterez que chaque match a ses particularités visuelles. Mais l’émotion naît de l’arrivée et du départ de Rocky, et de l’engouement du public. Ces deux séquences filmées à l’occasion d’une vraie soirée de boxe à Las Vegas sont absolument phénoménales par leur apport et leur impact émotionnel. A l‘instar de la conclusion voulue par Coppola dans Le parrain 3, le final a cette force car il porte en lui tout le passé du personnage, les épreuves qu’il a traversé et l’attachement que l’on y a mis. Et je soupçonne qu’à la fin de la dernière séquence, Sly lui-même, submergé par une émotion légitime ne joue plus vraiment Rocky, mais soit vraiment cet acteur/boxeur qui salue une dernière fois son fidèle public. Car il sait que c’en est fini de ses aventures et c’est là que les sentiments prennent le dessus sur l’histoire et l’acting pour aboutir à une sincérité profonde. En tant que public, on est submergé de la même façon, comme si l’on se séparait d’un vieil ami, qui nous a accompagné une partie de notre vie et que l’on ne reverra pas.