Rocky Balboa
Un film de Sylvester Stallone
Trente années ont passé, et pourtant, le mythe n’a pas pris une ride. A 61 ans, Sylvester Stallone endosse une nouvelle et dernière fois la légendaire carcasse du plus célèbre des outsiders, avec une justesse qu’on ne lui avait pas connu depuis longtemps.
Le premier Rocky avait marqué l’avènement d’un mythe, que son interprète principal s’était efforcé par la suite d’entretenir, en passant à la fois devant et derrière la caméra (cf. Rocky 2, 3 et 4). Au fil des films, l’émotion s’était pourtant diluée au cœur d’un mélange un peu fourre-tout, dans lequel des personnages parfois abracadabrants (Rocky 3) côtoyaient un anticommunisme obsessionnel (Rocky 4), mais en faisant toujours jouer les mêmes ressorts psychologiques et dramatiques.
Dans Rocky Balboa, le personnage titre est à la retraite depuis belle lurette, et partage son temps entre son restaurant italien, le cimetière auquel il se rend régulièrement afin de se recueillir sur la tombe de sa douce récemment décédée, Adrienne, et les marchés qui, au petit matin, lui permettent d’approvisionner sa petite affaire en produits frais. Une petite vie bien réglée en somme, et (presque) bien remplie. Car Rocky le sent bien, quelque chose manque. En effet, l’ancien boxeur sent confusément que quelque chose ne va pas, qu’il souffre, qu’un vide s’est fait en lui, et qu’au fil du temps celui-ci devient de plus en plus dur à ignorer. A tel point qu’il en vient à lui provoquer des crises d’angoisse, situation plutôt inhabituelle pour lui. Les circonstances l’aideront à trouver une explication.
Le monde de la boxe, et plus particulièrement celui de sa catégorie reine, celle des poids lourds, est en pleine crise. La popularité du sport est au plus bas. Devant la suprématie écrasante et contestable du tenant du titre, Mason « The Line » Dixon, les fans expriment avec une insistance croissante leur désaveux d’une règne illégitime puisque sans concurrence. Ils veulent du suspens, des luttes acharnées dans lesquelles deux adversaires se jaugent et se défient jusqu’à leur dernier souffle, loin des actuelles mascarades et autres promenades de santé auxquelles le numéro 1 les a habitués. Il faut à Dixon un adversaire à sa taille. Née de l’esprit retors d’un passionné du monde de la boxe, un combat virtuel opposant la légende de l’étalon italien au champion du monde en titre est diffusé sur les chaînes de télévision nationales aux heures de grande écoute. Et là, l’effervescence devient vite incontrôlable. L’équipe de communication qui gère la carrière du champion en disgrâce a vite fait de réaliser le bénéfice qu’elle pourrait retirer en organisant une telle rencontre ; le poulain est plus long à convaincre –normal, il a quelque peu des scrupules à l’idée d’affronter un partenaire qui pourrait presque être son grand-père- , tandis que la bête qui sommeille en Rocky accueille l’idée avec appétit. Cette dernière apprécie en effet la nouvelle sans modération, prompte à saisir là l’occasion qui lui est donnée de s’exprimer au grand jour, pour la tout dernière fois. Un dernier rappel, que le compétiteur hors du commun qu’est Rocky ne peut ignorer.
Le film débute sous le signe de la nostalgie ; celle d’une époque révolue, de l’être aimé trop tôt disparu. Rocky fait plus que jamais dans le sentiment –le fantôme de Talia Shire semble planer sur tout le film, tant l’actrice était indissociable de son personnage, Adrienne- ce qui fait d’autant plus ressortir les saillies de Paulie, l’inénarrable beau-frère. Face à la rêverie qui envahit l’ex-champion, la gouaille et les vociférations de Paulie se teintent d’une profondeur nouvelle. Il le fallait, face à un être qui porte désormais le deuil, et découvre –un peu tard il est vrai- le fardeau de la paternité. Car avec la disparition de sa femme, Rocky a réalisé que son fils s’était éloigné de lui. La faute à une figure paternelle écrasante, pas tant par sa façon d’agir que par les vestiges toujours vivaces de sa notoriété passée. Mais là encore, les circonstances arrangeront bien les choses, en permettant au père d’inculquer à son rejeton une bonne leçon de volonté, et d’humilité.