La comédie chorale et morale mettant en scène des personnages bons en lutte contre la rapacité du monde moderne est à la mode dans le cinéma français : "Fauteuil d'Orchestre", "Coeurs" ou "Le Pressentiment" en sont les derniers avatars. "Le grand Appartement" appartient indéniablement à cette catégorie, mais on ne peut pas faire le grief à Pascal Thomas de suivre cette mode, puisqu'il en a été un des initiateurs.
Car on retrouve bien la patte de Pascal Thomas, cette façon de suivre de nombreux personnages que leur agitation constante amène à se confronter, avec un sens de la digression et du détail insolite voire loufoque ; cette fois, il met cette description au service d'une cause, celle du droit à continuer à vivre en communauté plus qu'en colocation dans un îlot de loyer de 48 au milieu d'un océan de spéculation immobilière et de hausse vertigineuse des loyers locatifs.
Il y a quelque chose de libertaire, de post-soixante-huitard dans la défense de ce mode de vie, et avocats et conseillers ne manquent pas de rappeler à Francesca que les temps ont changé, et que la loi du réalisme et celle du profit doivent inéluctablement s'imposer aux utopies d'un autre temps. La lutte judiciaire est donc une des péripéties du film, avec quelques lourdeurs (l'avocat de la propriétaire) et quelques contre-pied sympathiques (les conseils de leurs amis africains pour résister aux huissiers).
Il y a aussi une deuxième intrigue principale, celle de la relation de Francesca et de Martin, et de leurs réactions devant l'adultère contraint que ce dernier commet. L'intérêt réside dans l'opposition des deux caractères, Francesca dévoilant dans cette relation privée une faiblesse qu'elle se refuse à avoir dans son combat de passonnaria du droit au logement dans du 320 m2, et Martin étant un de ces hommes fragiles et ballotés que sait si bien décrire Pascal Thomas.
Mais le vrai héros du film, c'est l'appartement lui-même, et surtout la nature des relations qui s'y sont tissées, et on sent que ce sens de la communauté, de la famille recomposée voire surcomposée est celui du réalisateur : ainsi, la demi-soeur de Francesca est jouée par Victoria Lafaurie, qui a pris 40 cm depuis qu'elle jouait la fille de Vincent Lindon dans "Mercredi, folle journée", et il donne deux petits rôles à des réalisateurs, Cheik Doukouré ("Le Ballon d'Or") et Noémie Lvovski ("Les Sentiments"). Et quand Adrien, le réalisateur pique-assiette génialement interprété par Pierre Arditi décline son nom "Eglantier", son interlocuteur se trompe et l'appelle "Rosier", à moins que ce ne soit "Rozier", comme le réalisateur d'"Adieu Philippine" et de "Maine-Océan" que Pascal Thomas hébergea réellement.
Dans ce joyeux foutoir, il y a du bon et du moins bon. Si le personnage de la soeur dépressive et suicidaire de Martin, jouée par Valérie Decobert, réussit à passer en force, notamment quand elle déprime toute la maisonnée, à commencer par les chiens, en chantant une ballade serbe, d'autres paraissent bien caricaturaux, comme la grand-mère qui confond le salon et les toilettes, ou le rimailleur du café d'en-bas.
Pourtant, on pardonne ces quelques pétards mouillés, et notamment l'entourloupe finale, en se laissant porter par une réalisation oscillant entre Renoir (la profondeur de champ et les va-et-vient du couloir évoquant celui de la Collinière dans "La Règle du Jeu") et Jacques Demy (toute la troupe reprenant en coeur "Les Palétuviers").
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