Quelques années avant Anthony Quinn, c’est Sean Connery qui offrit sa virilité ostentatoire et sa moustache à l’édification de la légende cinématographique d’une figure historique arabe : Mulai Ahmed er Raisuni, chef des tribus du Rif au début du vingtième siècle, dans un Marc nominalement indépendant mais sous le contrôle effectif de diverses puissances européennes. Ce chef de clan est cependant plus controversé que le Al-Mokhtar joué par Anthony Quinn quelques années plus tard, y compris dans son propre pays, car ses actes de guérilla tenaient souvent plus du brigandage que de l’acte de résistance, et sa volonté présumée de chasser les puissances européenne arrivait loin derrière son rêve de se tailler un fief personnel qui échapperait à l’autorité du sultan marocain. Il était néanmoins réputé pour traiter ses prisonniers de façon chevaleresque et amicale, et c’est évidemment sur cet aspect de sa personnalité que le film de John Milius porte toute son attention, puisqu’il se base sur l’enlèvement du riche voyageur américain Ion Perdicaris, dont Raisuni comptait se servir comme monnaie d’échange dans ses tractations avec le sultan, dont il savait qu’il serait mis sous pression par des Occidentaux qui pratiquaient volontiers la diplomatie de la canonnière. Pour les besoins du romanesque, Perdicaris, qui avait déjà la soixantaine bien sonnée à l’époque, a été remplacé par une mère de famille et ses deux enfants. Après, tout se passe comme les choses sont supposées se passer dans ce genre de film : la jeune femme change peu à peu son regard sur le chef de guerre, qui n’est pas le coupeur de têtes qu’elle imaginait mais un philosophe lettré et volontiers séducteur, tandis que ses enfants vivent un rêve d’aventure sous la protection bienveillante de ce guerrier venu du fonds des âges, en contradiction totale avec l’affairisme belliqueux et arrogant des puissances impérialistes : découverte mutuelle, chevauchées sabre au clair dans le soleil couchant, trahison, sauvetage, rien ne manque à l’appel. Rien ? C’est là que le paradoxe vivant qu’était John Milius, cinéaste à la fois romantique et militariste, intervient. Si on sent chez lui un intérêt sincère pour Raisuni, qui s’obstine à brandir ses valeurs médiévales alors que le siècle des massacres idéologiques commence à poindre, c’est un autre homme qui finit par s’imposer comme le véritable point de mire du scénario : le bouillant président Theodore Roosevelt, fondateur de la puissance interventionniste américaine et adepte du “Big stick”, partagé entre la curiosité qu’il éprouve pour son adversaire indirect et sa volonté inébranlable de montrer que son pays est la puissance montante et qu’aucun homme ne peut se mettre en travers de cette “destinée manifeste” et de sa propre réélection : entre le romantisme et la justification admirative du recours à la force, Milius, cette fois, a clairement choisi.