Algérie, 1960. La section du lieutenant Roque participe à des opérations de maintien de l’ordre dans la montagne : traque d’un groupe de fellaghas, fouille des villages, évacuation forcée de la population. Au poste, le quotidien est fait de tâches routinières : factions, surveillance du camp où les montagnards ont été regroupés, patrouilles.
La section compte quatre soldats musulmans. Si pour certains de leurs camarades métropolitains, ils restent des bougnoules, aux yeux de leur lieutenant, ils sont, comme vient de l’affirmer De Gaulle à Mostaganem, «des Français à part entière».Ils sont d’ailleurs bien utiles, dans cette guerre où les militaires font un travail de policier, et dans cette région où malgré 130 ans de présence française, on ne parle que l’arabe.
Jusqu’au jour où un carnet trouvé sur un fellagha révèle que ces soldats algériens ont prévu d’égorger le lieutenant et de livrer le poste au F.L.N., seul gage acceptable pour que ce dernier leur accorde le pardon. Lentement, la suspicion s’installe de part et d’autre, et des comportements anodins jusque là (parler en arabe, composer des patrouilles systématiquement mixtes) confortent la méfiance et achèvent de saper une illusoire fraternité d’arme.
La trahison, ou plutôt les trahisons. La trahison soupçonnée des quatre Algériens vis-à-vis de leurs compagnons et de leur parole. La trahison des mêmes vis-à-vis de leur peuple, jetée à leurs faces par des femmes ou même des gamins qui les caillassent. La trahison programmée de la France avouée par le lieutenant trop honnête pour leur promettre qu’ils ne seront pas abandonnés en cas de défaite –défaite que tout annonce, tant la population entière semble hostile. La trahison du lieutenant lui-même, qui utilise le peu de confiance qu’il leur inspire encore pour les faire monter un par un dans le camion où les attendent les paras.
Au contraire du cinéma américain qui a très vite utilisé la toile de fond vietnamienne pour exorciser le spectre de la défaite, le cinéma français a été d’une grande timidité vis-à-vis de ses guerres coloniales, et particulièrement «les évènements d’Algérie». «La Trahison» est un film sobre, voire dépouillé. Il est plus proche d’ «Avoir vingt ans dans les Aurès» que de «R.A.S.», le romanesque s’effaçant au profit d’une précision presque documentaire. Le récit est morcelé, fragmenté, et si des panneaux nous en indiquent la chronologie, le spectateur doit parfois reconstituer les morceaux du puzzle.
Ainsi, Philippe Faucon filme les scènes de combat comme doivent les voir les combattants, quelques coups de feu, une explosion au loin, un homme qui s’effondre. Puis les corps des fellaghas alignés, comme un tableau de chasse. Cette distance renforce le doute par rapport aux accusations du renseignement militaire vis-à-vis de Taïeb et de ses camarades, et nous place au même plan que le petit lieutenant qui refuse de croire en ce qui semble pourtant évident. Et paradoxalement, cette épure rend l’histoire encore plus crédible, et de cette tension quasi douloureuse naît finalement l’émotion.
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