On doit être un soir d'août, il fait encore beau dehors, on entend l'herbe bruisser sous le vent, une vision du ciel crépusculaire, mélange magnifique de teinte entre le rouge rosé et le bleu céleste, presque une prémonition ! :) Bref, je regarde un film, un western sur la 3, avec Brad Pitt, ça doit être sympa, un petit divertissement ... Je crois que j'ai eu une excellente surprise. L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, ou la réécriture du mythe américain par Andrew Dominik. On ouvre sur des nuages, des champs de blés sans fin, un soleil couchant, une maison qui respire l'ouest américain. Brad Pitt hante les lieux, Jesse James fatigué et déjà gagné par la folie paranoïaque progressive qui le prend. Car c'est un film fou, composé de ses personnages. Le jeune Robert Ford, 20 ans, veut rejoindre la bande de son héros, alors qu'ils sont sur le point de braquer un train à Blue Cut ... Aucun d'eux n'est un membre d'origine. L'arrivée du train en pleine nuit est magnifique, jeu d'ombres et de lumière parfait, où les bandits apparaissent comme des fantômes, des non-êtres, sudistes errant dans la mort ... Le reste du film est très calme, Andrew Dominik (qui a aussi écrit le scénario) l'étire volontairement en longueur, il s'attarde sur chaque personnage du gang James,
qui disparaissent l'un après l'autre
et renforcent l'atmosphère de folie générale et la mélancholie palbable devant notre écran. Le banditisme est réduit au minable,
on tabasse des gosses sans raisons, on monte des coups qui ne sont que des mirages
, ce qui n'est pas sans rappeler le sombre Impitoyable de Clint Eastwood ... Jesse James veut faire la peau à tout ceux qui tenteraient de le descendre pour de vieux billets verts froissés. Brad Pitt hante littéralement le film, il a un charisme impressionnant, et un profond regard malade (une de ses meilleurs performances avec Babel). Robert Ford, le petit jeune qui le suit partout, en admiration plus qu'inquiétante pour son modèle, brillamment évoquée par cette phrase du bandit : "Je n'arrive pas à comprendre, tu veux être comme moi, ou être moi ?". Casey Affleck est la révélation du film, l’ambiguïté lui semble naturelle, on le voit comme un serpent dès sa première apparition ... Mais à la fin, après l'acte, on ne sait plus que penser. Bob Ford est-il vraiment un lâche ? Qui est vraiment le démon dans cette histoire ? L'excellente mise en scène de Dominik (on y retrouve une forte inspiration de Terrence Malick et Les Moissons du Ciel ...) qui par ses contours flous, sa distorsion du temps, son évocation des grands paysages de l'ouest américain (servie là aussi par une excellente photographie), se fait miroir ocré, matière de l'affrontement psychologique que se livrent les deux protagonistes. La musique (c'est ma plus grande surprise par rapport au film), composée par Nick Cave et Warren Ellis, se révèle géniale, avec des thèmes aux mélodies parfois simples (mais pas simplistes) et réutilisées (jamais de manière paresseuse), qui retranscrivent une atmosphère bien western, mais aussi cette mélancholie permanente, la chute, la décadence (psychologique) des personnages, comme si c'était un personnages à part. Elle décrit à merveille l'ambivalence de Jesse James (Song for Jesse), une réussite qui participe grandement à la qualité du film. En bref, le film de Andrew Dominik est à la fois une ode au genre du western, mais plus encore un chant du cygne crépusculaire sur le déclin d'un mythe : le banditisme américain à la fin du XIXe siècle. C'est aussi une critique éloquente et intemporelle de la passion morbide pour le crime, pour les "stars", sur la renommée ... Une réflexion intelligente sur la légende que représente Jesse James aux Etats-Unis, non complaisante. J'ai du mal à écrire les mots chef d'oeuvre, par peur de moquerie peut-être, sur ma facile empathie pour un film, sur mon manque de critique, d'objectivité et de sévérité ... Je l'admets, mais quand je tombe en face d'une si grande qualité de mise en scène, d'interprétation, d'un cinéma poétique qui donne ses lettres de noblesse à un genre oublié ...
En somme, c'est un chef-d'oeuvre contemporain, qui mériterait à être plus connu ...