Ce film est adapté d’un roman d’Athol Fugard dont l’action se déroulait dans les années 50. Gavin Hood a fait le choix de le situer de nos jours, et c’est bien l’Afrique du Sud contemporaine qui sert de toile de fond à l’histoire : les affiches de prévention du sida sont partout, et les riches parents de l’enfant sont noirs. Seul personnage blanc, l’inspecteur chargé de l’enquête se fait malmener par le père qui l’écrase avec toute la morgue de sa position sociale. C’est en effet une particularité de ce film, et qui explique sans doute son succès planétaire (il a reçu de nombreux prix, dont l’Oscar du meilleur film étranger) : le cadre est typiquement sud-africain (l’opposition entre la richesse des gratte-ciel de Jo’burg et la misère du bidonville, les dialogues en tsotsi taal, mélange d’anglais, de zulu et de sesotho, et le kwaito envoûtant de Zola, sorte de rap mâtiné de rythmes africains), alors que l’histoire qu’il raconte est universelle.
Il s’agit de la rédemption d’un être que les premières scènes nous présentent comme irrécupérable, et de son chemin de Damas qui va le voir (re)découvrir des mots comme «s’il te plaît», «merci» ou «je m’excuse». D’ailleurs, la dimension christique est omniprésente : quand Tsotsi prend en filature un mendiant infirme qui a osé l’insulter, il lui ordonne «lève-toi et marche» ; la femme qu’il prend comme nourrice nous est montrée comme une mater dolorosa ; et jusqu’à la scène de son arrestation, où le fondu au noir final découpe sa silhouette de Christ en croix.
Gavin Hood a fait des choix techniques et esthétiques qui trouvent leur justification dans le propos même du film : beaucoup de plans fixes avec une alternance de plans larges et de plans serrés, emploi de longues focales pour isoler les personnage et particulièrement Tsotsi, dans la volonté de capter ce qui se passe dans sa tête, et utilisation de filtres pour styliser les personnages : Tsotsi en rouge et noir, les membres de sa bande en vert, bleu et orange, la jeune femme en turquoise et ocre. S’il n’évite pas quelques facilités (les flash back mélodramatiques sur son enfance, une musique un tantinet insistante dans la deuxième partie), grâce à ces choix radicaux et au jeu pasolinien de Presley Chweneyagae dont c’est le premier rôle au cinéma, le film possède une force et une sincérité qui suscitent l’émotion à de nombreux moments.
Dans son interview au «Monde» Gavin Hood explique : «Il y a tant de film qui parlent de vengeance, et dans lesquels la violence est un spectacle. Je ne montre pas les coups, mais leur effet : un visage ensanglanté. Voilà mon propos : ne pas m’éterniser sur les actes de violence qui surgissent, mais réfléchir à leurs effets, à ce qui a été fait dans le passé et ce que nous faisons dans le présent. » Loin des clones tarantinesques qui prolifèrent partout, du cinéma français au cinéma coréen, il offre une approche éthique de la violence et un message d’espoir en l’homme ; pas étonnant que cela nous vienne d’un pays où la réconciliation nationale est au cœur de la construction d’une société nouvelle.
http://www.critiquesclunysiennes.com/