La mort en ligne
Un film de Takashi Miike
Une fois encore, le créateur fou a frappé. Le génial Nippon, aussi prolifique que dérangé, revient ici avec sa version des chroniques de morts annoncées. Ou comment s’appuyer sur les célèbres Ring, pour en faire quelque chose d’entièrement nouveau.
Surprendre, cela a toujours été la norme chez Takashi Miike. Se renouveler sans cesse, tout en abordant des thèmes parfois récurrents. Jamais ses films ne se ressemblent, même si ses délires empruntent parfois des chemins visuels déjà utilisés. Alors, que penser de sa volonté de s’attaquer aux histoires désormais classiques de mort en direct ? Les prédictions morbides, par l’intermédiaire de la cassette vidéo, avaient déjà été adaptées au cinéma et nous avaient donné la série horrifique des Ring. Ici, on change de vecteur, pour employer le téléphone portable.
Un téléphone portable un tantinet particulier, puisqu’ annonçant à son heureux propriétaire sa mort prochaine (date et heure comprises) par la réception d’un SMS. Un SMS émanant –comme on pouvait le deviner- de son propre mobile. Flippant peut-être, mais aussi agaçant si l’on s’entête à vouloir lorgner du côté de la trilogie imaginée par Hideo Nakata. Mais La mort en ligne est plus que cela. Miike ne fera jamais rien comme tout le monde et il a vite fait de nous le rappeler.
Le premier tiers du film peut en effet attirer nos esprits en mal de sensations fortes vers des souvenirs pas si lointains de cassettes vidéo suprêmement maléfiques. Mais c’est précisément lorsque le spectateur en vient à s’interroger sur la source d’inspiration du cinéaste que celui-ci abat des cartes d’un tout autre acabit. Pas du genre à s’endormir sur ses lauriers, Takashi Miike va alors nous concocter une sinistre histoire dans laquelle des liens familiaux étranges contribuent pour beaucoup à l’instauration d’un profond malaise.
En associant la folie du téléphone portable en Asie à des personnages qui correspondent aux archétypes du genre (l’incrédule, la fana de mode, l’inspecteur cartésien, l’héroïne et le gentil boy-scout), le metteur en scène s’est assuré de la solidité de sa trame. Plutôt conventionnel au début, le film n’en est pas moins efficace. Contaminant les téléphones portables, la malédiction se répand. Les jeunes meurent et ne se ressemblent pas. L’obscurité offre d’innombrables possibilités. Hallucinations, paranormal ?
Le mystère reste entier jusqu’à la fin. Même la partie de cache-cache dans un hôpital désaffecté, très réussie, ne permet pas d’obtenir toutes les réponses. C’est en effet dans le dernier tiers que le réalisateur se lâche vraiment et revient à ses amours monstrueuses. Un écrasant sentiment de culpabilité peut avoir bien des conséquences. A travers des situations très « joyeuses » (des adolescentes noyées, suicidées ou encore amputées de ci, de là), Takashi Miike répond présent. Il a vite fait de nous faire oublier un pitch un brin emprunté.
Les décors sont toujours aussi étonnants et ramènent tous à l’imaginaire torturé du réalisateur. Les immeubles apparemment à l’abandon ne peuvent qu’être inquiétants, et les chambres d’enfants ne sauraient être mignonnes.
Le cinéaste asiatique nous avait peut-être habitués à plus délirant, après tout. Il remplit cependant sa mission avec brio. En terminant son histoire sur une explication comme on les affectionne au Pays du Soleil Levant (un épilogue à tiroirs), Takashi Miike nous rassure. Il ne pourra décidément jamais réaliser une fin comme tout le monde.