Se méfier des films « d'épouvante » qui comptent plus de dix minutes de musique cumulées, cela nuit à la tension et donne au mieux un côté épique, au pire un côté "Jumanji". Se méfier aussi des films « d'épouvante » dans lesquels seuls lesdits animaux domestiques trouvent la mort : on a les morts qu'on peut. D'une manière générale, se méfier des films dont le casting compte plus d'un animal domestique, qui sont en général des films à regarder à l'heure du goûter, et une interdiction aux moins de seize ans n'y change pas grand-chose. Autrement dit, on a là tous les incontournables du cinéma de Spielberg, qui sont aussi tous ceux du cinéma familial américain de la fin du XXe siècle, et le sujet de "Poltergeist" n'est vraiment pas le sujet pour ça. Une histoire de famille américaine paisible – pavillon de banlieue, père agent immobilier, mère au foyer, enfant blond – perturbée par des événements paranormaux semblait intéressante, mais alors qu'elle pouvait donner lieu à un film malsain et dérangeant, elle est traitée sans aucun parti-pris artistique.
Il n'y a, dans le scénario de ce film, aucune véritable ligne directrice : seulement une accumulation d'éléments plus ou moins proches du cliché qui font croire à une histoire. Il n'y a, d'un point de vue visuel, aucune continuité dans l'« épouvante » – ombres évanescentes, aberrations organiques à la Lovecraft, cadavres revenus d'outre-tombe, visage qui tombe en lambeaux, arbre hanté, poupée géante de clown maléfique : esthétiquement, c'est une accumulation absolument gratuite, sans queue ni tête qui, même si l'on fait abstraction de l'âge vénérable des effets spéciaux (Carol Anne et sa mère dans la baignoire recouvertes de confiture de fraise...), tient du fatras le plus lourd. Il n'y a, du point de vue de la réalisation, pas grand-chose à garder : Spielberg – ou Hooper, peu importe – filme à la Spielberg – ou à la Hooper, peu importe –, c'est-à-dire que l'on se retrouve face à une enfilade de plans extrêmement convenus, filmés sans réelle imagination, à grand renfort de musique et toujours au même rythme (les scènes « d'attente » sont filmées de la même façon que les scènes « d'action »). On a vu que le bric-à-brac qui sert de scénario ne peut pas sauver Poltergeist de cette pauvreté artistique. Le salut ne vient pas non plus des acteurs – c'est encore le labrador et la petite Heather O'Rourke qui jouent de la façon la plus nuancée.
À la rigueur, c'est dans les passages les plus rôles que le film est le plus réussi : le personnage de la médium, plutôt réussi, ainsi que l'équipe de « parapsychologues » qui prend possession du pavillon familial, composée de quelques bras cassés et dirigée par une alcoolique guindée aux airs d'institutrice à la retraite. Malheureusement, les quelques répliques amusantes auxquelles l'irruption de ces personnages donne lieu est vite ruinée par une pelletée de bons sentiments à la guimauve. De plus, il n'est pas certain que cet humour soit toujours volontaire – qu'on songe à la scène de la côte de bœuf... Bref, je n'aimerais pas être Spielberg, mais si je l'étais, je ne revendiquerais pas la paternité de "Poltergeist".