Pour son premier long-métrage, Clyde Bruckman est aux côtés du sublissime Buster Keaton, à la fois derrière et devant la caméra. Grâce à leur collaboration sur une œuvre riche et prometteuse, le cinéma muet n’aura jamais été aussi prenant et divertissant. On habille une opération militaire de la Guerre de Sécession pour en faire une comédie d’auteur tout à fait riche en humour.
Comme Charlie Chaplin, la démarche humoristique de Keaton réside dans sa gestuelle. Incarnant un personnage lambda, capable de s’adapter à tout métier et à toute fonction, il s’illustre dans la peau de Johnnie Gray est en quête de reconnaissance. Lorsque l’armée lui offre l’opportunité de s’engager, il n’hésite pas au nom de l’amour pour son pays et Annabelle Lee (Marion Mack). Hélas, il faut croire que sa fidèle locomotive, baptisée « General » est un fragment de son cœur pour laquelle il a un meilleur attachement. Il s’ensuit des gags d’un réalisme bluffant. La course poursuite est la principale trame qui conduit chaque protagoniste à fuir ou chasser. Courant après son train ou devant celui-ci, il fait preuve d’élégance, malgré le danger. Tiré de faits réels, les réalisateurs en tire la leçon de l’individualisme. Pour gagner le respect et la fierté, il faut savoir faire preuve d’audace. Et c’est ce que nous montre le personnage de Keaton, malgré la gaucherie naturelle qui l’habite. Pourtant, c’est dans ces moment hasardeux et chanceux que Johnnie séduit. Il possède une maîtrise exceptionnelle de sa locomotive, mais ne possède aucun contrôle sur le monde. Il est tout aussi victime que sa bien-aimée qu’il secourt. La situation tourne à la catastrophe, mais au final, il est récompensé par sa patience et sa persévérance.
De plus, il parvient à tirer profit de la topographie du tournage. Ces grosses machines à vapeur sont une scène qui promettent des situations burlesques de haut vol. On capte rapidement à dompter la machine à ses côtés et lorsque que la maladresse retentit, on ne peut que se sentir sot, à l’image du personnage sur qui tout repose. On en vient à en rire, mais Johnnie suggère bien plus de sérieux qu’il n’y paraît. Sans sourire ou expression faciale hautement évidente, on constate avec objectivité que les yeux du jeune mécano voient le monde d’un autre œil. Il s’agit de cet évident contraste entre le comique qu’il représente et l’anti-héros qu’il induit que l’on trouve notre compte. On en vient alors à la subtilité qui lie le héros à sa machine, ou plutôt la réciproque. Sa « General » est quelque part découpe de conscience et ne peut vivre qu’à l’aide d’un mécano en partenaire, car l’un a besoin de l’autre. Mais dans ce récit, la locomotive est un monstre qui n’obéit pas à son créateur, à son maître moins encore.
En soi, Le Mécano de la « General » est un chef-d’œuvre, où Buster Keaton brise l’écran et propose un cinéma muet comme jamais vu auparavant. Il est surprenant de constater tout ce que l’on peut découvrir en un aller-retour sur la ligne Keaton, exécutant à la perfection son scénario et sa mise en scène. Ce qu’il ne peut accomplir lui-même, à l’instar de ses authentiques cascades, c’est le fond sonore, distillé du Jazz, où Joe Hisaishi et William P. Perry installent la bonne ambiance. La leçon est ludique et promet une carrière épanouissante dans le genre muet.