Film à petit budget mais au cœur gros, Claude Miller signe un des plus beaux films sur cette courte période où l’enfance laisse place à l’adolescence. Révélée par ce film, Charlotte Gainsbourg éclabousse de toute sa candeur la toile. César du meilleur espoir, elle aura ; tout comme l’excellente Bernadette Lafond aura celui du second rôle.
Erick Maurel a écrit une critique de ce film bourré d’émotions dans laquelle je me reconnais : « Plus que la fascination d’une jeune fille pour une autre, le thème principal de L’Effrontée est avant tout le portrait d’une adolescente au moment où elle se cherche et doute le plus, la peinture sensible mais sans fard de cette période malaisée et rarement facile à vivre qui fait la transition entre l’enfance et la puberté. Charlotte est mal dans sa peau, aussi bien à l’école où elle ne se reconnait aucun point commun avec ses camarades que dans son milieu familial qu’elle trouve étriqué et au sein duquel elle s'ennuie. Elle est aussi peu à l’aise dans sa tête qu'avec son corps un peu plus filiforme et dégingandé que la moyenne ; on le ressent d’emblée lors de la séquence à la piscine où elle semble non seulement maladroite avec ses membres mais montre également une peur maladive de sauter du plongeoir, ce qui la fera ensuite être victime des moqueries de ses petits camarades qui, comme c’est souvent le cas à cette période du collège, ne sont pas tendres les uns envers les autres. Lorsqu’elle se trouve subjuguée par une pianiste prodige de son âge qu’elle voit lors d’un concert enregistré sur VHS, elle n’a plus qu’une idée en tête : chercher à la rencontrer, ce qui s’avère tout à fait possible puisqu’elle doit justement se produire durant les vacances d’été au sein de sa petite ville. Tiraillée entre sa vie morne et ennuyeuse au sein de sa famille et ses rêves et ses désirs d’un ailleurs - aussi bien celui de la destination de vacances de son frère plus âgé qui a le droit de partir avec ses copains que celui encore a priori plus inaccessible que lui fait entrevoir sa visite à la villa de la pianiste -, elle a beaucoup de mal à se situer, ses hésitations et ses doutes la rendant fortement irritable, faisant du mal à son entourage sans foncièrement le vouloir, se sentant encore moins en phase avec ses proches depuis qu’elle a l’espoir de pouvoir se rendre dans de plus hautes sphères aux côtés d'une camarade qui semble avoir tout ce qu'elle n'a pas, le talent, l'aisance, l'intelligence et la beauté, ce qui l'attire forcément.
Séduite voire même hypnotisée par l’opulence de l’univers dans lequel vit la pianiste, elle a de plus en plus de mal à retourner dans sa modeste maison entre un père qui a trop de travail pour avoir le temps de s’occuper d’elle, une amie de la famille qui les aide en effectuant les tâches ménagères et qui ne perd pas une occasion de la railler - sans méchanceté mais avec une ironie qui la blesse tout autant -, un frère qui a plein d’amis et qui a le droit de batifoler à droite à gauche, et enfin une adorable fillette de six ans qu’on lui colle dans les pattes alors que son débit ininterrompu et sa demande d'attention constante l'agacent fortement. Par petites touches sensibles, les auteurs abordent avec une grande intelligence et un sens de l’observation affuté les rêves, les emballements et les élans du cœur d’une jeune fille fragile, boudeuse et timide, ainsi que ses premières espérances déçues et ses grandes désillusions. Ils décrivent les difficultés de l’adolescence avec une telle justesse que tout le monde se reconnaitra au travers de quelques traits de caractère d'une Charlotte tour à tour (ou en même temps) effrontée, cinglante, frondeuse, pleine de certitudes pour cacher ses doutes, agacée par les adultes qui ne la comprennent pas, mais également capable d'amour et de tendresse. Une écorchée vive formidablement interprétée par une Charlotte Gainsbourg qui crève l’écran, aidée en cela par la mise en scène toujours millimétrée et subtile d’un Claude Miller qui semble s’être régalé à la filmer, arrivant à presque tout faire passer par ses regards, expressions et attitudes (beaucoup de gros plans sur Charlotte procurent une puissante émotion). Il ne faudrait cependant pas oublier la délicieuse Julie Glenn qui est la source de la plupart des répliques et séquences humoristiques, une petite fille qui n’a pas la langue dans sa poche, elle aussi subjuguée mais par Charlotte qu’elle considère à la fois comme une grande sœur, une confidente et une camarade de jeu ; elle est craquante du début à la fin et son « Je ne veux pas que Charlotte parte avec la pianiste » fera venir des larmes aux yeux aux plus endurcis des spectateurs. D’après l’actrice elle-même, celle-ci n’aurait pas joué cette scène puisqu’à ce moment-là elle croyait dur comme fer que sa partenaire allait réellement s’en aller.
Dommage que les auteurs n’aient pas pris plus leur temps pour évoquer ce caniculaire été adolescent, ne se soient pas plus longuement appesantis sur les petits riens de la vie quotidienne et aient manqué d’un peu de subtilité dans la description d’un microcosme artistique assez cliché (le jeu efféminé et pédant de Brialy, le personnage du professeur rigide, la jeune fille un peu hautaine...). En l’état il s’agit néanmoins d’une remarquable réussite, car quoi de plus difficile que de retranscrire d'une manière plausible les contradictions de cet âge ingrat et rendre justes les affres, hésitations, tourments et fièvres des débuts de l’adolescence, voire même le désarroi des adultes face au mal-être de ces grands enfants à fleur de peau qui ne rêvent que d’être enfin pris au sérieux.
Sans jamais se départir de sa légèreté, tour à tour drôle, désinvolte - pas dans sa mise en scène, au contraire rigoureuse, trop peut-être -, délicat, tendre, délétère et profondément émouvant, sur l'air entrainant du tube interplanétaire Sarà perchè ti amo de Ricchi e Poveri et celui plus serein du concerto pour piano N°11 de Mozart, L'Effrontée est une chronique de mœurs douce-amère, d'une belle simplicité et d’une confondante justesse sur la confusion des jeunes adolescents alors que se bousculent en eux à la fois l’envie et la peur de quitter l’enfance. Il fallait beaucoup de sensibilité et d’acuité dans le regard pour réussir un film aussi fragile. Pari gagné pour Claude Miller et ses scénaristes ; nous ne sommes pas prêts d'oublier les frimousses et les bouderies de Charlotte et Lulu ! »