Le célèbre monteur de la RKO a fait du chemin, depuis « Citizen Kane », puis son succès personnel « La Splendeur des Amberson », pour enfin mettre la main sur la fabuleuse comédie musicale éponyme, sortie quatre ans plus tôt. Robert Wise met donc à profit cette adaptation au « Roméo et Juliette » de Shakespeare, où il évoquera New York et ses conflits ethniques, tout comme ses instants magiques entre deux amants maudits. C’est également en comptant sur le précieux talent du chorégraphe Jerome Robbins, que l’on développera une véritable narration à travers les danses. C’est un rythme qui n’a pas toujours besoin de paroles, mais qui saura légitimement explorer la psychologie de personnages, haut en couleur. Le renouveau du genre arrive avec cette œuvre, qui réussit à capter la tension du quartier ouest de Manhattan et à sublimer un drame, qui n’a rien perdu de sa splendeur.
Jets versus Sharks, Américains versus Portoricains. C’est une lutte qui se déguste au rythme du son et d’une caméra aérienne et souple. La danse est le langage du corps, est se montre violente et élégante, sans pour autant négliger la tension qui règne entre les deux camps. L’immigration en est la source, mais c’est plutôt la difficulté d’intégration qui est mise en avant. L’ouverture se nourrit du décor réel pour en illustrer toute cette adversité, toute cette morale qui piétine les droits et les libertés de ces jeunes adultes, qui n’aspire pas à s’extirper de leur enclos. Ils préfèrent se l’approprier, en avoir le contrôle, par une forme de suprématie absurde et maladroite de leur part. La jeunesse est dans le déclin, dans le déni et dans l’incapacité de se soumettre à l’autorité, qui fera irruption par instant, mais toujours avec un temps de retard. Les nombreuses plaidoiries des Portoricaines verront la désillusion écraser leur espoir, celui d’une oasis sociale et économique. On joue alors sur le contre-champ de cette rêverie, qui nous ramène dans la crasse des ruelles désenchantées, qui débordent de visages endurcis par les mêmes enjeux, d’un point de vue beaucoup moins optimiste.
Et au milieu de ce ballet musical, qui revendique chaque espace de son environnement, nous avons Tony (Richard Beymer), un ex-leader des Jets et Maria (Natalie Wood), la sœur cadette du leader des Sharks. Ces conflits ne les concernent pas directement, car leur relation se ressentira souvent par le biais d’une bulle qu’ils se créent, tout juste pour eux, tout juste pour le coup de foudre qui les a réunis. La différence et la tolérance ne seront pas des arguments en faveur de leur soudaine union, dès lors très ancrée dans une réalité sociale, qui n’encourage pas la mixité. Les communautés se referment sur elles-mêmes et il ne reste plus qu’à idéaliser ce qui serait alors délicat à explorer. Une scène, qui simule une rencontre avec les parents respectifs des âmes sœurs en est l’exemple parfait. Comme tout le reste du récit, qu’il soit d’ordre tragique ou non, on réussit à élever la beauté intérieure des personnages, comme on parvient ensuite à déchirer leur foi, leur amitié et leur avenir.
Wise signe avec « West Side Story », une touche de modernité, bienvenue dans l’ère de la comédie musicale, à l’époque dans le déclin. Secondé par une chorégraphie implacable et la virtuosité du compositeur Leonard Bernstein, qui se balade avec aisance de l’opéra au jazz, le cinéaste a bâti une miniature d’une Amérique dans l’impasse, où l’excès de haine et l’incompréhension interculturelle bouillent dans le sang. Et au-delà de la trajectoire de l’intrigue, on retient cette amère sensation d’abandonner cette vie en groupe, pour enfin se laisser emporter par l’individualité, une notion qui s’associe à la maturité ou simplement une vie d’adulte, si seulement l’on parvenait à atteindre la fin de la rue.