"Roméo et Juliette"... Sans doute l'histoire d'amour qui a connu le plus d'adaptations, sans compter les innombrables influences qu'elle a laissé. Et pourtant, force est de constater qu'il est encore possible de la revisiter avec brio, comme en témoigne les récents Roméo Juliette ou, dans une moindre mesure, Shakespeare in Love. Quelques décennies plus tôt, Broadway reprenait cette histoire d'amour impossible, en la transposant dans le New York des 50's. Succès oblige, en 1961, sortait aux Etats-Unis la version sur grand écran de West Side Story, qui sera récompensée par 10 Oscar.
West Side Story est l'exemple même d'une réécriture réussie, ne se contentant pas de mettre en paroles et musique la pièce de Shakespeare, mais en l'intégrant parfaitement dans un contexte contemporain. Une très bonne idée, quand on sait comme la comédie musicale est un genre qui souffre beaucoup du temps. Du coup si au première abord West Side Story paraît forcément démodé, on révise assez rapidement notre jugement, le style du film correspond parfaitement à ce qu'il raconte. Le spectateur fait un voyage dans le temps, et se retrouve catapulté dans un monde où on ne lésine pas sur la couleur, où l'ont se bat comme l'on danse, où les garçons sont tous coiffés comme James Dean, et où les filles portent des grandes jupes qui volent. On est transportés à Broadway, comme si la caméra s'était immiscée sur la scène, suivant au plus près les artistes, dansant avec eux. Mais derrière ses allures de gentille comédie musicale, West Side Story dresse un portrait plutôt noir des bas quartiers new-yorkais des années 50. Les bandes sèment la terreur, les conflits ethniques sont légion, bref le rêve américain s'effrite peu à peu. Un mélange d'une grande subtilité, et qui finalement a rarement été égalé dans le genre de la comédie musicale.
Pour ce qui est de l'adaptation pure de la pièce de Shakespeare, le film colle finalement assez finement à l'original, en reprenant la plupart des éléments clés de l'intrigue ; au point que le spectateur se sent comme dans un jeu de piste à se demander en permanence comment tel ou tel élément de la pièce va être revisité (spoiler dans la fin du paragraphe pour qui veut garder la surprise). Parmi les plus originaux, le mariage qui s'improvise ici sous forme de jeu avec des mannequins. Ou encore le messager qui plutôt que de ne pas réussir à livrer son message, le transforme et "tue" Juliette/Maria. Seule la fin est légèrement modifiée, mais loin d'être un sacrilège, elle va au contraire dans le sens plus optimiste qui caractérise le genre de la comédie musicale.
West Side Story est un modèle parfait de réécriture. En conservant la trame et l'universalité de la pièce de Shakespeare, les auteurs s'assurent l'adhésion du public déjà familier de l'histoire. Ils la réinventent suffisamment pour que ça ne sente pas le réchauffé, en modifie la forme pour s'assurer une certaine originalité et s'en servent pour délivrer un nouveau message, plus actuel, véritable intérêt d'une nouvelle version. Brillant.