Rarement aura t-on vu un scénario de thriller surcharger à ce point la mise en place de son récit. Le premier acte de ce 'Unforgettable' doit introduire le personnage principal et son passé trouble (le docteur incarné par Ray Liotta est accusé d'avoir tué sa femme), ses enjeux secondaires (la garde de ses enfants), le retour supposé du véritable meurtrier de son épouse (à travers une piste introduite dès la séquence d'ouverture, qui le pousse à relancer son enquête), et enfin la découverte des expériences de transfert de mémoire, qui nécessitera bien sur des explications supplémentaires de la part de la chercheuse incarné par Linda Fiorentino.
John Dahl, sympathique figure du film néo noir américain (il a notamment signé 'Red Rock West' et 'One False Move', tout deux plutôt réussis), ne parvient pas à juguler cette quantité massive d'exposition, et le démarrage cahoteux du film n'augure rien de bon.
Certains éléments du récit apparaissent ainsi bêtement mécaniques. La plupart des personnages secondaires ont une fonction uniquement utilitaire, et ne s'intègrent jamais de manière organique au récit. On pense par exemple au personnage du meilleur ami de notre protagoniste (incarné par David Paymer), qui disparaît brutalement du film dès lors que le scénario n'a plus besoin de lui. Ou encore de ce personnage féminin non déterminé, qui invite le personnage de Liotta à un gala où il croise la route de la chercheuse et de ses expériences. Petite copine ? Amie de longue date ? Collègue ? Le film ne prend même pas la peine de le préciser, et ce personnage n'apparaîtra plus jamais à l'écran.
Tout ces laborieux efforts de mise en place se révéleront finalement vains, tant le film échouera par la suite à exploiter pleinement son concept de science fiction.
Dahl n'a pas la dextérité d'un David Cronenberg (qui lui réussira à mélanger réalité présente et souvenirs passés avec une grâce visuelle folle, dans son chef d’œuvre 'Spider'). Il se contente, à mesure que le personnage se met à revivre les souvenirs des différentes victimes et suspects liés à l'affaire, de coller grossièrement les images entre elles, sans jamais réellement faire s'entrechoquer les espaces temps (excepté durant la tout première séquence d'hallucinations, au domicile du protagoniste, où à travers la soudaine apparition d'une tempête à l'extérieur, les espaces temps semblent effectivement se confondre le temps d'un bref moment d'inspiration visuelle).
Au final, 'Unforgettable' n'est qu'une banale histoire policière entrecoupée de montages alternés tape à l’œil et répétitifs, parfois carrément harassants, qui passe complètement à côté du potentiel morbide de son concept (on ne peut désormais plus emporter nos secrets dans la tombe, la mémoire et l'intimité profonde des individus peuvent à présent être violées même dans la mort, il y avait de quoi faire !).
L'acte final de 'Unforgettable' vient entériner pour de bon l'échec pataud du projet.
Après avoir déroulé une laborieuse avalanche de visions des passés respectifs de multiples personnages secondaires, afin de retracer les événement qui ont menés à l'assassinat de l'épouse de notre protagoniste, Geddie et Dahl nous font l'affront de conclure leur mystère sur une tirade explicative du grand méchant de l'affaire, qui prend le temps de détailler à notre héros ses motivations et ses intentions au lieu de lui coller une balle dans la tête.
Tout ces efforts, tout ces virages superflus, tout ce temps passé à présenter et à détailler un concept excitant, pour finalement recourir au plus misérable cliché du mauvais thriller, l'antagoniste qui se met à monologuer sans aucune raison.
Reste que Ray Liotta excelle, une fois de plus, dans un rôle taillé sur mesure. L'acteur communique naturellement une ambiguïté électrique, menaçante, un charisme instable toujours saisissant, une intensité de jeu qui maintient le film à flot malgré les faiblesses de la narration.
Ça ne doit pas être facile de jouer une course poursuite alors que son personnage est simultanément sur le point d'avoir une crise cardiaque et une attaque cérébrale, tout en étant assailli par des souvenir qui ne sont pas les siens. Mais heureusement, le regard halluciné et incroyablement expressif de Liotta se suffit à lui même, en toutes circonstances.