« Peeping Tom » est aujourd’hui célèbre pour avoir flingué la carrière de Michael Powell. Le brillant cinéaste britannique tourne ce thriller psychologique sans son comparse Emeric Pressburger, et le sort en 1960. Vilipendé par la critique obtuse qui y voit une œuvre ultra-malsaine et perverse, le film sort très confidentiellement, tandis que la réputation de Powell est anéantie en Grande-Bretagne. Le réalisateur devra s’exiler pour continuer à tourner. « Peeping Tom » et Powell ne seront réhabilités qu’à partir des années 70, lorsque des ténors du cinéma (Martin Scorcese, Bertrand Tavernier) défendent le film.
Pourquoi tant de haine à l’époque ? Il y a certes quelques scènes osées. On y voit par exemple -furtivement- pour la première fois dans le cinéma britannique une poitrine entièrement dénudée. Mais la raison principale est que le film suit un tueur en série, sans le présenter comme un grand fou ou un méchant machiavélique. Mark ne peut s’empêcher de filmer la terreur des femmes alors qu’elles agonisent. Et « Peeping Tom » tente de fournir une explication psychologique en montrant Mark comme victime attendrissante des abus de son père.
Un concept presque standard aujourd’hui, mais inacceptable par l’establishment de 1960… Alors que « Peeping Tom » est une belle œuvre, à la complexité bienvenue, et à l’audace chère à Michael Powell.
En premier lieu, il y a l’idée géniale d’avoir embauché Karlheinz Böhm pour jouer le tueur à l’esprit torturé. Connu en Europe continentale pour son rôle de prince galant et romantique dans les films Sissi, il livre là un énorme contre-emploi.
Puis il y a les thématiques abordées, très riches. Une mise en abîme du cinéma et du fait de capter les émotions (et l’âme ?) d’une personne via une caméra. Ceci évoqué à travers l’obsession voyeuriste du protagoniste, allant jusqu’à faire de sa caméra un objet sexuel (allusions phalliques, baisers à l’objectif…). Ou à travers sa volonté de construire une réalité à l’écran plutôt que dans la vraie vie. Ainsi, notre homme, privé de sa peur par son père, a l’obsession de vouloir capturer celle des autres sur pellicule.
Enfin, évidemment, la mise en scène. Michael Powell livre là une œuvre immédiatement dérangeante. Des plans novateurs très modernes (dont la fameuse vision subjective, qui sera réutilisée à foison dans les slashers). Des couleurs vives, des jeux d’ombres, et des éclairages de couleurs dissonantes, qui donnent un aspect irréel, voire cauchemardesque à certaines scènes. Et cette BO éparse au piano, qui rappelle le cinéma muet le fait que notre protagoniste filme sans enregistrer le son.
« Peeping Tom » est donc à ranger à la liste des grandes injustices du cinéma. D’autant plus injuste que ses thèmes sont hitchcockiens, et que « Psycho » est sorti à peu près au même moment, avec succès.