Gaspar Noé est un cinéaste qui aime faire ce qui ne se fait pas et dire ce qui ne se dit pas. Le caractère subversif de ses œuvres, comme on peut s'y attendre, est loin de faire l'unanimité, en témoignent les réactions déchaînées récemment provoquées par Love. Pourtant, son dernier film en date n'a rien à envier à son premier, Seul contre tous, qui raconte l'histoire dure et sans appel d'un homme qui n'a jamais eu de chance. La narration adopte le point de vue de ce boucher anonyme qui se bat pour refaire sa vie. Bien souvent, il erre seul en rasant les hauts murs des usines, faisant entrave à tout échappatoire. Et quand il reprend contact avec d'anciens amis, il constate qu'ils ont bien changé. Le réalisateur met en scène cette impression en séparant les deux personnages grâce au cadre. Le boucher est donc inexorablement seul, seul avec sa voix intérieure qui commente toutes ses actions, qui expose crument son mode de raisonnement et ses opinions politiques. L'exercice de la voix off est relevé avec brio, elle accompagne efficacement le récit tout en développant le personnage (en particulier lors du moment où il arrête de subir sa vie et prend les choses en main). Même si on ne partage pas ses opinions, on comprend cette personne malheureuse et on ne la blâme pas, malgré tout ce qu'elle a de détestable. Mais au delà de cette voix, c'est le montage sonore dans son entièreté qui bénéficie d'un travail remarquable : il parvient à être insupportable tout en étant génial. En effet, Gaspar Noé s'amuse à accompagner ses accélérés de bruitages stridents et ses raccords dans l'axe de coups sourds, quand ce ne sont pas des coups de feu. Cette agressivité constante en agacera plus d'un, mais il permet de mettre le spectateur dans le même état d'insécurité que le boucher, rendant l’expérience cinématographique éprouvante. Savoir que la production du film fut chaotique n'a rien d'étonnant quand on voit le propos si choquant et désespéré de l’œuvre. Pourtant, le fait que le film ait été tourné avec trois bouts de ficelle contribue à immerger le spectateur dans ce milieu très populaire, notamment grâce aux décors aux couleurs fanées. Dans tous les cas, Seul contre tous marque l'arrivée de Gaspar Noé dans la cour des grands, et il est amusant de voir, avec le recul, que son premier film annonçait fortement le suivant, Irréversible, sorti trois ans plus tard.