Magnifique film d'Agnès Varda dans lequel on suit Mona, une jeune femme qui rencontre de nouvelles personnes au fil de son voyage, des personnages très différents entre eux, opposés à elle mais proches finalement. Cette épopée à la musique tendue nous emporte pendant 1h45 sans le moindre ennui, un vrai coup de maître d'Agnès Varda. Entre cinéma culte de Varda, personnages charismatiques, plans larges et ambiance calme : Comment cette aventure peut-t-elle être si intéressante ? Pourquoi Agnès Varda a t-elle choisi un personnage si controversé comme personnage principal ? Comment la réalisatrice déjoue t-elle le côté tragique pour sortir un film lumineux ?
Nous verrons tout d'abord le cadre et les personnages mis en place par Agnès Varda. Puis dans un second temps le paradoxe entre Mona, pauvre vagabonde et la société, peu inclusive ainsi que les procédés de narration interactive qu'utilise Agnès Varda pour rendre ''Sans toit ni loi'' intéressant.
Tout d'abord le film est construit sur les bases d'une tragédie classique. En effet, juste après le générique statique et angoissant par sa musique et ses titres en fondu, le destin de Mona est annoncé dès le début : Elle meurt, gelée, maigre, dans un champs, seule et sale. Cet événement funeste ouvre ensuite sur le film. On y découvre donc cette vagabonde qui erre avec son gros sac. Le fil rouge narratif sont ses chaussures, de saltimbanques, chaussures personnifiés et comparant l'état dans lequel se trouve Mona au fil du temps. Elle ne s'occupe pas d'elle, mais de ses chaussures, qui sont plus propres qu'elle. Par dessus son apparence douteuse, qui apporte au jugement. Mona va à l'encontre de plusieurs personnages, tous différents : un hippie et sa famille, un marocain qui taille des vignes, une femme coquette, un garagiste un peu pervers ou encore la vieille et riche veuve.
Effectivement, cette dame très âgée est tout le paradoxe de Mona, en apparence, celle ci reste ses journées assise dans un fauteuil à attendre alors que Mona se ballade. Mais au fond elles ne font rien toutes les deux. Ce qui les lient c'est qu'elle sont incomprises, personnes n'a vraiment de relation très positive avec elles. La scène de leur fou rire marque leur rapprochement, elles vivent leur meilleur moment sûrement avant leur mort. D'un côté la veuve est âgée, entourée de voleurs qui n'attendent que son décès et de l'autre Mona qui a le destin écrit dès le début du film.
Le personnage du marocain est aussi très intéressant, il a quitté son pays, a lui aussi vagabondé mais il a trouvé un travail et veut un mode de vie stable, il ne veut plus partir, ni risquer de partir – ne défend pas Mona quand les autres reviennent –. Il est aussi lié à Mona parce qu'ils sont tout les deux sales et qu'ils ne s'occupent pas de leur apparence. Enfin le personnage de Mme Landier est un personnage coquet, maniéré et lumineux qui ne rejette pas du tout son opposé : Mona. Mme Landier se lave, Mme Landier achète des petits gâteaux mais surtout Mme Landier s'attache à Mona, elle a sûrement besoin de compagnie, elle recherche peut être une amie, ou veut juste être en aide par pitié. (45' du film) La scène des oreillettes, est très puissante, les deux femmes sont côte à côte, face caméra, dans un plan poitrine, elles parlent et mangent. (48' du film) On retrouve ce même plan mais de nuit, les deux femmes se retrouvent côte à côte, autour d'un plat. Elles ont passé la journée ensemble, comme deux amies. On en déduis donc que Mona est sociable et attachante, si on la rejette c'est parce qu'elle finit par déjouer les lois et ne correspond pas à l'archétype, elle n'est pas conforme.
Mona se ballade, Mona erre. On ne sait pas son passé, imaginons une enfance difficile ou une rebelle sans parents. Ce thème n'est jamais abordé, ce qu'Agnès Varda veut raconter c'est surtout l'histoire d'une jeune femme sans règles, incarnant la liberté pure, Mona divague en chaussures hautes avec du pain sec. Mona n'a pas sa place dans la société. Mais ce n'est pas que de sa faute. Chaque personnage qu'elle a rencontré l'a aidé, à sa manière, elle a accepté cette aide, mais n'est pas entré dans les codes. Elle est malpolie, lui a-t-on un jour enseigné ou éduqué ? Au fil du temps elle perd de l'énergie, elle est perdue. Au fond personne ne l'aide dans son pire moment, la société ne l'inclut pas. Ce n'est qu'une SDF, en 1985 comme aujourd'hui, grand nombre meurent comme elle. Certains l'aident, d'autres profitent de ses faiblesse, mais aucun ne la sauve. Mona n'a donc comme seul destin d'errer jusqu'à être seule, et mourir. Agnès Varda nous donne une vision subjective de la situation, nous sommes donc libres d'éprouver de l'agacement par le comportement de Mona mais aussi de la pitié pour son état. Varda ne fait pas que poser des personnages face à son héroïne, elle les incruste à celle-ci, elle crée des liens entre eux et en elle, des relations, des discours, ils médisent, ils la plaignent, il se rencontrent sans elle mais lorsqu'ils la voient ils sont séparés. Un univers tourne autour de Mona sans qu'elle s'en rende compte, elle ne fait pas parti de ce groupe. Agnès Varda utilise parfaitement les silences, elle nous laisse contempler, observer le milieu qui entoure Mona avec la plus grande attention. La BO signé Joanna Bruzdowicz est pleine de tension, simple et aigu, elle tire sur nos nerfs, nous pousse au suspense, on se demande toujours ce qu'il va arriver quand Mona marche, quand elle va mourir, comment, pourquoi et au fil du film, on s'attache à elle. En nous laissant seul sans opinions, Agnès Varda nous pousse finalement à se dire que Mona est morte trop jeune, dans des conditions terribles et qu'elle n'a pas été sauvée par la société, elle a été délaissée, abandonnée.
Par conséquent ''Sans toit ni loi'' est un immense film dans la grande carrière d'Agnès Varda, beaucoup vu et beaucoup apprécié – lion d'or à Venise –, un million de spectateurs, il porte en lui une véritable humanité, nous montre plusieurs personnages autour de Mona, plusieurs personnages qui pourraient chacun représenter une partie de Mona, ses meilleures : la joie (scène avec la vieille veuve) ou le partage de moments (repas avec le travailleur marocain). ''Sans toit ni loi'' c'est évidemment très esthétique, avec l'utilisation de la lumière naturelle, au coucher (1h02) et les ombres, le réveil glacial et pénible (30') dans la neige ou la nuit chaleureuse autour du feu (35').
Ce film plein de libertés autant artistiques que morales mérite d'être vu une fois, de par le cinéma légendaire d'Agnès Varda ou par son intemporalité sur la gravité des gens sans toit, ni lois.