Je trouve ce film très bon car intelligent. La première pensée que j'ai eue avant de voir le film était qu'une réalisatrice de gauche formée à la Nouvelle Vague avait engagé une actrice jeune, charmante et très en vogue au moment du tournage pour nous vanter la vie sur la route (dans les années 80, il y avait Sophie Marceau, belle, glamour, minette et son opposée, Sandrine Bonnaire, nature, prolo, spontanée et sans chichis, actrice parfaite pour ce genre de rôle naturaliste)
Je m'attendais au récit d'une jeune femme aimant la route, cherchant quelque chose de philosophique, poursuivant une quête personnelle voire spirituelle, poète dans l'âme et adorant les rencontres qui seraient toutes, à leur manière, source de bonheur et d'enrichissement pour elle.
Je ne spoile pas en disant que cette jeune femme est retrouvée morte de froid dans un fossé, c'est le synopsis du film et c'est là qu'il débute. On se dit alors "quelle société de salauds !!!".
Or, Agnès Varda a eu l'intelligence de nous présenter le personnage de Mona Bergeron comme antipathique et répugnant. Elle ne cherche rien, elle erre sans but, ne saisit aucune opportunité, est ingrate, revêche et d'une saleté repoussante. Non, Mona Bergeron n'est pas une "clocharde céleste" à l'aura merveilleux: c'est une asociale complète qui ne respecte personne et ne se respecte même pas elle-même.
Autre point de vue intelligent, Varda a évité de tomber dans le piège de la justification. Mona n'a, a priori pas eu de traumas dans sa prime jeunesse, elle n'a pas fui un mari violent, ni un proxénète et elle a eu une vie de salariée ordinaire. Ce faux documentaire ne cherche pas à créer du pathos mais à exposer un parcours sans jugement ni parti pris.
Quelques acteurs amateurs extrêmement mauvais qui récitent (mais de façon si brève que cela n'entrave pas la qualité du film) d'autres qui tiennent la route, comme le berger en couple et père de famille qui lui explique, alors qu'il n'a pas une vie de bourgeois aliéné par la société de consommation, que son choix de vie à elle n'est qu'une irrémédiable fuite en avant.
Sandrine Bonnaire joue très juste, à tel point qu'on en oublie qu'elle n'est pas réellement la victime d'un fait "d'hiver", elle a donné beaucoup de sa personne pour jouer un personnage aussi dégradé, tout cela à dix-sept ans: chapeau !!!
J'ai lu de ci de là que le film était chiant comme la pluie et qu'il ne s'y passait rien. Je l'ai trouvé extrêmement violent au contraire. Voir Mona répugnante vautrée par terre enragée de n'avoir que du pain sec désespère, la voir se dégrader de jour en jour jusqu'à la complète déchéance est dur à supporter, mais n'oublions pas
le viol qu'elle subit sans réagir plus que cela, les mecs de passage toujours plus glauques jusqu'à celui qui ne la fréquente que dans le but de l'exploiter en lui faisant faire du porno et l'avant dernière scène, cauchemardesque, où elle se fait littéralement lyncher avec du raisin par des hommes aux masques de pestiférés dans une feria locale, cette scène est horrible.
Le film est violent et sait user de suffisamment de subtilité pour rester naturaliste sans tomber dans le pathos.
"Sans toit ni loi" ne vante pas un mode de vie poétique et romantique au travers d'une anti-héroïne touchante et attachante. Par le biais du faux documentaire qui est un exercice intéressant et pas forcément aisé, il y a le constat implacable d'un parcours de vie où, si l'on décide de ne plus suivre la moindre règle, utopie folle, on finit par périr. Belle honnêteté de la part de la réalisatrice.