Une base de recherche en antarctique, douze hommes, une entité inconnue capable de prendre la forme de n'importe qui. La traque commence. S'arrêtera t-elle ? Quarante ans plus tard, on est toujours pas sûr de la réponse. À l'image de ce titre - The Thing - assez vague pour exciter l'imaginaire mais tellement évocateur dans la mémoire cinéphilique. Au point d'avoir presque fait oublier sa nature de "redite". En grand fan de l'original (La Chose d'un autre monde, 1951), John Carpenter entendait bien se réapproprier la nouvelle Who Goes there ? signée John W. Campbell plutôt que de bégayer l'adaptation sortie trente ans plus tôt. L'idée est donc d'en revenir à la substantifique moelle. Avec le scénariste Bill Lancaster, ils font le choix d'une intrigue ramassée, avec un nombre réduit de personnages (ils étaient 37 dans le roman), et une Chose repensée. Question icônes, Carpenter est un fournisseur en tout genre : Michael Myers, Snake Plissken, Christine ou Jack Burton. Avec The Thing, il accomplit sa plus grande œuvre.
Le film est une perfection absolue sur le plan narratif, technique et horrifique. Il entre dans le vif du sujet sans attendre. Il n'y a aucun texte introductif, aucun mode d'emploi, aucune explication. Dix minutes et déjà confus ? Tant mieux, les douze membres de l'équipe de recherche sont dans le même cas. Carpenter a justement pensé sa mise en scène afin que le public n'aie jamais d'avance sur les personnages. Qui est qui, qui fait quoi, quelle relation entre chacun : on l'apprend au fur et à mesure, souvent de manière intuitive et finalement peu par le dialogue. Libre de s'attacher, prière de se méfier. Car il suffit d'un hors-champ, un léger mouvement de porte ou une ellipse, et le piège se referme. Plus on comprend la Chose, plus The Thing nous tient à sa merci. D'où vient la menace, peut-on l'identifier sans se tromper, se révélera t-elle à nous ou est-ce nous qui nous révélerons à elle ?
Nulle porte de sortie. Dehors, c'est un désert de glace et le froid polaire. À l'intérieur, c'est une menace aussi implacable qui grandit. Elle n'a pas une forme mais une infinité. Elle est multiple, imprévisible, animale, humaine, sournoise, monstrueuse. Engagé par John Carpenter, le responsable des effets spéciaux Rob Bottin a l'idée d'une Chose dont les capacités de mutation dépasse l'entendement. Un an de travail, zéro jour de repos, une hospitalisation pour couronner le tout. Bottin y a laissé sa santé, mais son travail lui est passé à la postérité. Ses créations peuplent encore les cauchemars de millions de spectateurs. Et font du film un sommet de terreur organique, où Carpenter se sert de la Chose protéiforme pour exposer en plein jour les mécanismes de défense de notre espèce face à l'inconnu et son inclination à l'extrémisme (paranoïa, xénophobie, bestialité). The Thing a en plus le bon goût de laisser une petite zone d'ombre au cours de sa résolution. Quand le thème (inoubliable) ouvrant le film résonne de nouveau pour le générique final, on est libéré...En tout cas, on en a l'air. Pour être aussi réussi, The Thing ne pouvait venir que d'ailleurs. Un chef d'œuvre définitif.