ATTENTION : CETTE CHRONIQUE CONTIENT DE TRÈS NOMBREUX SPOILERS !
The Thing s’impose sans conteste comme le meilleur film de Carpenter (devant Escape from New York) et comme un chef d’œuvre PLASTIQUE. Il suffit de voir l’attention remarquable que porte le maquilleur (quel génie !!!!) Rob Bottin (qui jouait le chef des fantômes dans Fog) à la « chose » : jamais au grand jamais le latex ne m’a paru aussi magnifique. Car malgré tout le dégoût que nous inspire la « chose », une sorte de beauté émane néanmoins de ses spectaculaires apparitions, au nombre de quatre.
Mais je vous propose de commencer par le début : le film de Carpenter commence sur un plan-séquence impressionnant sur l’antarctique vue depuis un hélicoptère. Une sorte de masse blanche s’étend à perte de vue sur le son de la musique lancinante de…Ennio Moriconne (ça vous en bouche un coin, hein ?) ! Alors que la plupart des films de Carpenter sont longs à démarrer, The Thing fait manifestement exception, à contrario de Assaut, Halloween, Prince of Darkness, They Live ou Christine.
Par conséquent, il s’agit d’un film qui se détache remarquablement de l’œuvre du cinéaste. Et je vais modestement essayer de vous dire pourquoi ce film est si spécial, tout en restant cohérent avec les autres œuvres du metteur en scène. En plusieurs points.
Commençons par cette ouverture, pour le moins unique en son genre. Il faut savoir qu’à l’origine, The Thing devait débuter par un flash-back dans la station norvégienne qui a « réveillée » la chose, enfouie sous la neige depuis plus de 100 000 ans ! Finalement, comme je le dis plus haut, le film démarre par un superbe panoramique sur la neige d’une blancheur éclatante qui s’étend à perte de vue sur la surface de l’Antarctique. La musique d’Ennio Moriconne accompagne la « chevauchée » aérienne aux allures de western « anti-monument valley » d’un hélicoptère à la poursuite d’un chien à travers ce désert glacé, qui semble avoir été abandonné par l’humain. Car c’est bien une réflexion sur les réflexes de l’humain et sur sa nature solitaire que pose The Thing. Le film tente de prouver à quel point l’homme n’est pas fait pour vivre en société. Certains critiques bas-de-plafonds y ont directement vus un simple film de SF anti-communiste de plus alors qu’en réalité, le film de Carpenter va bcp plus loin…
Au-delà de cet vision très pessimiste de l’humanité (réflexion qui n’est pas sans évoquer le Prometheus de Ridley Scott), John Carpenter réalise enfin à l’écran la seule, l’unique adaptation inavouée et pourtant géniale de L’Île du Docteur Moreau d’HG Wells, livre dans lequel Moreau disait rechercher « l’extrême plasticité de la forme vivante ». C’est exactement ce que tente et réussit à faire le créateur de Body Bags en compagnie de son maquilleur irremplaçable, Rob Bottin, avec les séquences (au nombre de quatre) d’apparition de la chose.
Ces séquences sont de très loin les plus terrifiantes et les plus abouties du film : la « chose » y imite en effet les particules de son hôte, humain ou animal, pour créer un être hybride et repoussant qui intègre en lui les organes et la composition approximative de l’être qu’il possède, si l’on peut dire les choses comme ça. Par conséquent, cela donne des (et non pas une, d’où la différence avec Alien, en permanence cité) créatures distordues, flasques, désarticulées, quotidien de nos cauchemars, et semblant issue, comme le faisait très justement remarquer Télérama, d’un tableau de Francis Bacon.
La race humaine est donc mise en danger par cette « chose » dont on regrette de ne pas connaître l’origine exacte. Carpenter nous laisse fantasmer sur sa planète d’origine et sa genèse…
Mais revenons à l’introduction du film, si spéciale. On y voit, après l’atterrissage de l’hélicoptère norvégien, un homme fou à lier tirer au fusil sur le même chien qu’il poursuivait depuis les airs. Il est abattu par le « shérif » de la station américaine (à proximité de laquelle il a atterri) dans un plan qui rappelle furtivement Assaut du même cinéaste. Ce film, coup d’essai de Carpenter, est sans arrêt cité, par exemple dans la scène où Windows tente de s’emparer des fusils dans le couloir « en forme de T » comme dit Carpenter. Cette station abrite des hommes (pas de femme…) de caractère et d’âges différents, lâches, peureux, allumés, virils, idiots etc. Mais ce qui se révèle intéressant chez cet éventail de personnages aux antipodes les uns des autres, est la façon dont ils réagissent à la « chose », avec d’un côté les savants fantaisistes et de l’autre les héros matérialistes. Je crois choisir plutôt bien mon mot, car The Thing construit son monstre comme un ennemi de la matière, pouvant se « créer » à partir d’un chien, d’une plante ou d’un homme. Si Alien était une parabole déguisée sur le sida où la bête naissait en accouchant d’un « hôte » humain après que ce dernier ait été « fécondé » (violé) dans son sommeil, The Thing propose une vision bcp plus complexe et à plusieurs niveaux.
Néanmoins, il faut avouer qu’il existe tout de même une ressemblance flagrante sur le plan de l’écriture du film, notamment avec la découverte du monstre dans la station norvégienne. Cette scène, parmi les plus célèbres du film (avec évidemment le massage cardiaque gore qui a fait la renommée du film) nous montre effectivement deux hommes dont Kurt Russel, héros malgré lui de l’histoire, découvrir la station norvégienne craspec et mise à sac par une puissance sur laquelle The Thing ne met pas de nom. On pense un peu à Alien 3 et à ses gros plans sur les tâches de sang et les cadavres mutilés, sorte de marque de fabrique moins originale que l’on pense, de David Fincher (marque de fabrique que l’on retrouve de manière encore plus évidente dans le culte Se7en).
Les deux hommes ramènent la chose à leur station et le savant le plus aguerri de l’équipe (qui détruira par la suite son laboratoire dans une scène à la The Conversation) pratique un dégoûtante autopsie qui fait écho au cours d’SVT trash de Starship Troopers.
Peu après, c’est la première apparition de la « chose », apparition qui semble être un personnification unique et inoubliable de la peur : le chien des norvégiens est mis dans un chenil avec les autres chiens (par un gros bonhomme émouvant mais benêt, qui sera tué par Macready (Kurt Russel) pour rien, juste par réflexe meurtrier. On se croirait dans Assaut encore une fois !) quand soudain ses congénères se mettent à montrer les dents, à grogner. La scène est filmée dans le noir, avec un montage serré mais plein d’ellipses sur le visage interdit du responsable du chenil, nous évitant pas mal de plans sur la « chose ». Qu’importe, ce qu’on voit suffit, et donne aux âmes sensibles un aperçu de ce que le maquillage des 80’s pouvait être, et à quel point il surpasse les SFX et CGI d’aujourd’hui. Le chien norvégien voit s’échapper de son corps des sortes de tentacules rosâtres (quoi que ce soit difficile de bien reconnaître une couleur dans l’obscurité…obscurité qui va parfaitement avec la vision de la peur du cinéaste ! À part dans Shining, qui a déjà vu des scènes terrifiantes en plein jour ?). Je disais donc, oui, les tentacules rosâtres, qui agrippent les autres chiens, et la « chose » commence à tenter ce que la savant appelle « l’imitation » des autres chiens de l’enclos, pour créer un monstre abominable, qui surpasse en créativité tout ce qui a jamais été fait au cinéma ! Et là encore, Carpenter tente de s’affranchir des codes classiques : un chien est l’animal fidèle par excellence, alors comment faire de lui un monstre ? Jamais un chien n’a été utilisé dans les films d’agression animale, ou alors volontairement pour créer un climat de danger « à domicile », un tempo de film de maison hantée, comme c’est le cas dans Cujo. Mais ici, le fait que la chose soit un chien est une fois de plus une preuve du nihilisme complet et abyssal de The Thing.
Pour en revenir à Alien 3, cette scène semble avoir également été reprise par Fincher lors de la première apparition de l’alien : dans la version cinéma, l’alien sort d’un chien (d’un rotweiler) dans une scène que j’adore pour la tronche de son proprio (« qui peut faire ça à un animal ? » s’exclame-t-il en voyant son chien mutilé, probablement car il s’est battu avec le xénomorphe pendant le viol) alors que dans la version unrated, éternellement supérieure, c’est d’une vache que sort l’alien. Cette vache est attachée sur des crocs de bouchers dans un hangar dégueulasse respirant, rien qu’à l’image, la pourriture et la crasse incroyable. Et c’est dans la même obscurité, avec la même suite d’ellipses que dans The Thing sur la tête du propriétaire du chien et dans Alien 3 sur la bouche de Collins (le prisonnier qui lit la Bible lors de l’incinération de Newt) que l’accouchement de l’alien s’effectue !
Par conséquent, cette rapide et modeste analyse comparée sur ces deux chefs d’œuvres indispensables est une démonstration efficace de l’influence de The Thing sur le cinéma fantastique, et ceux plus de 15 ans après sa sortie. Sortie qui ne s’est pas soldée par un concert de louanges, puisque The Thing est probablement le film le plus conspué de la carrière du cinéaste, en partie (comme quoi le dicton « le public a toujours raison » est un mensonge éhonté) à cause de son échec commercial, vu la rivalité : E.T, Poltergeist, Evil Dead, Creepshow etc.
Ironie du sort, les deux plus gros échecs de l’année 1982 sont deux des perles du cinéma : The Thing et Blade Runner.
Voilà pour l’impact plastique, visuel, purement artistique de The Thing. Par conséquent, tout ceux qui affirment que le film a vieilli se trompent et peuvent se fourrer le doigt dans l’œil jusqu’à la cheville !
D’un autre côté, ce qui fascine dans The Thing est l’ampleur humaine du récit. Chacun veille sur soi, et le film enlève tout de suite le cliché du cinéma américain avec tous les gentils qui se liguent contre l’adversité. Carpenter montre ici la vérité des choses, l’hypocrisie des standards. Et c’est ce qui fait de The Thing une grande claque, indispensable ! Finalement, c’est comparable à la méthode d’action de la « chose » : chaque partie de notre corps devient une entité organique. C’est comme pour la société. Vertigineuse et magnifique mise en abyme de…la race humaine ! Un thème que reprendra d'ailleurs Carpenter dans un autre de ces films maudit : un certain Los Angeles 2013...