En 1982 sortirent deux œuvres de science-fiction aujourd'hui mythiques et pourtant fortement dissemblables : « E.T l'extraterrestre » de Steven Spielberg et « The Thing » de John Carpenter. Deux œuvres traitant de l'arrivée d'un extraterrestre sur Terre, certes, mais différentes surtout par la façon d'exploiter ce thème. L'accueil que reçurent ces films n'a lui aussi rien de comparable. Sans surprise, le film de Spielberg qui présente un gentil alien est porté aux nues par l'Amérique bien-pensante de Reagan et devient (comme à peu près toute la filmographie de ce génie de Spielberg) un film culte. Et puis, il y a l'autre film là... signé par un cinéaste de série b... « The Thing » de Carpenter. Les critiques voient le film : c'est un désastre. Le film est jugé trop effrayant (drôle d'argument, vu que c'est un film d'épouvante)... trop dégoûtant (bizarre aussi, « Alien, le 8eme passager » avais déjà quelques scènes assez affreuses). Le film est donc condamné et subi un échec commercial. Mais grâce au développement de la VHS, le film gagnera au fil des années le statut de film culte, considéré comme le meilleur film de Carpenter, et même (sinon le) meilleur film d'épouvante/s-f de tous les temps (si j'en crois ma jaquette de DVD).
Selon moi, il existe cinq maîtres du cinéma d'épouvante : John Carpenter, Wes Craven, Georges Romero, David Cronenberg et Dario Argento. Chacun se démarque par un quelque chose qui lui est propre. Par exemple, Craven apporte une savoureuse touche d'humour sans jamais vraiment tomber dans la parodie. Carpenter est sans doute le plus marquant par son pessimisme totale. Cette obscurité éclate dans « The Thing » qui marque le premier opus d'une remarquable trilogie de films d'épouvantes, constitué de ce film-ci, du « Prince des Ténèbres » (1987) et de L'antre de la folie » (1994). Trilogie que Carpenter appellera sa « trilogie de l'Apocalypse » (ce nom marque bien le pessimisme du bonhomme).
L'histoire se passe en Antarctique pendant l'hiver 82. Douze hommes travaillent dans une base américaine isolée. Un jour, ils reçoivent une étrange visite : un chien de traineau, qui semble être traqué par deux Norvégiens. Les deux Norvégiens sont tués, le chien trouve refuge dans la base. Qui étaient les deux Norvégiens ? Tout ce qu'on sait, c'est qu'ils viennent d'une autre base. Deux Américains, dont Mac Ready, le pilote d'hélicoptère (Kurt Russell, synonyme de charisme absolu) se rendent à la base norvégienne et découvrent le camps complètement dévasté. La raison ? Les Norvégiens ont extrait du sol une entité extraterrestre qui a la capacité d'absorber des êtres humains et de prendre leur forme physique. Et cette chose affreuse, elle se trouve dans la base américaine, sous la forme du chien de traîneau. Chien qui a sans doute déjà absorbé et imité quelques américains. Une lutte commence où se mêlent violence et paranoïa (Qui est qui ? Es-tu la chose ? Es-tu humain ?...).
Voici le résumé. On a beaucoup dit que le film de Carpenter était un remake de « La chose d'un autre monde » (1951) de Christian Nyby (et d'Howard Hawks? On dit que c'est lui le vrai réalisateur). Je pense que cette idée est très contestable. Deux films qui n'ont relativement en commun que le sujet : un extraterrestre arrive en Antarctique et dans une base... c'est tout. Parce qu' en terme de mise-en-scène, de scénario et même d'ambiance (rien que pour l'ambiance, sachez que le film d'Hawks est assez léger, ce qui n'est pas le cas ici). Si l'on devait rapprocher le film de Carpenter, ce serait avec le film « Alien » (1979, Ridley Scott) et le livre « 10 petits nègres » (1939, Agatha Christie). Un croisement détonnant où se mêle avec une grande habilité l'épouvante et le suspense. Ses deux sentiments peuvent se traduire de plusieurs manières (dû donc à la très judicieuse, pour ne pas dire géniale idée du scénariste Bill Lancaster : doter la créature du don d'imitation). La peur naît à cause de la non fiabilité des êtres, on ne sait jamais à qui faire confiance, qui est qui etc. Même l'identité de Mac Ready, personnage principal, nous semble incertaine. Une idée magistrale : alors que les films d'épouvantes présentent souvent un ennemi face à une poignées de victimes, ici le mal se trouve souvent dans le cadre, sans qu'on le sache. On ne sait qui est humain où qui est la chose. Les morts non montrés, les sous-entendus prononcés aux alentour d'une phrase renforcent l'angoisse que nous procure cette œuvre. La Chose est donc uniquement suggérée ? Non, tout cela est rompu par moment, quand la Chose, découverte par les humains, se défend. Ces scènes-là valent pour les incroyables effets spéciaux, signés Rob Bottin (le roi du latex, qui prouvera son immense talent dans des films de Verhoeven, ou encore « Seven » de Finsher), qui ne cessent de nous hanter aujourd'hui. Le film de Carpenter fut l'un des premiers à montrer des chairs qui se déchirent et se métamorphosent. Le mérite revient donc à Rob Bottin, qui, pour l'anecdote, a travaillé sept jours par semaine pendant un an cloîtré dans son atelier : tout cela pour donner vie à sa créature ( ce qui lui vaudra un séjour à l'hôpital). Dans ces scènes de transformation et de mutation, Carpenter montrait pour l'époque l'inimaginable et l'impossible. Ce qui nous offre un paradoxe : le metteur-en-scène nous montre concrètement quelque chose qui ne peut être nommé, car n'ayant pas de forme propre, à tel point que plusieurs critiques disent que la Chose en question est une métaphore du SIDA (qui ravageait le monde dans les années 80). On a donc peur mais Big John ne fait pas qu'un film d'épouvante, mais aussi un film à suspense. Un suspense qui nous fascine et nous laisse cloué sur place : il y a un savant mélange entre horreur (ce qui repousse, venant d' « Alien ») et suspense (ce qui nous prend et nous scotche, venant des « 10 petits nègres) Une scène est restée emblématique et traduit très bien ce mélange : le test sanguin. On est terrifié par ce qu'on va voir, mais on ne peut décrocher car nous sommes très intrigués et nous voulons savoir qui est la Chose.
« The Thing » est, de nos jours, le chef-d'oeuvre de Carpenter : c'est un fait. Plus terrifiant, plus prenant que ses autres films, « The Thing » est quand même tout-à-fait en cohérence avec l'oeuvre de Big John, qui aborde un thème extrêmement présent dans sa filmographie : le Mal. Mais un Mal abstrait n'ayant pas de forme propre. Ainsi, le Mal se matérialisait sous la forme d'un tueur immortel au masque blanc (« Halloween », 1978), d'un brouillard menaçant (« Fog », 1980), d'une séduisante voiture rouge incassable (« Christine », 1983) et se matérialisera plus tard sous la forme d'un liquide vert prisonnier (« Prince des Ténèbres », 1987), d'une œuvre d'un écrivain (« L'antre de la folie », 1995) ou encore sous la forme de beaux enfants (« Le village des damnées », 1995). Le mal chez Carpenter est un thème très important et s'oppose toujours à l'Homme. Résultat ? Un constat glacial et terrifiant : le mal ne peut être vaincu, simplement retardé par l'Homme, abandonné à lui même (voir « Prince des Ténèbres »). En témoigne les fins de film de Carpenter, souvent ambigues. Le cas se retrouve dans « The Thing » : la Chose semble être vaincue, et pourtant... une musique inquiétante qui se déclenche (signé par Ennio Morricone, rien que pour cela...), un geste étrange d'un personnage... et nous voilà reparti dans la paranoïa : la Chose est-elle vraiment morte ? Ne vit-elle pas dans un des deux personnages restants ? Cette pensée très pessimiste tourne souvent à l'idée fixe, surtout quand on sait que ce film fait partie de la trilogie de l'Apocalypse.
Réflexion sur le mal, tout autant capable de sommeiller en nous que de surgir d'un coup, « The Thing » est une œuvre majeure et essentielle du film d'épouvante. Bien loin des clichés américains de films d'horreur (que cela fait du bien de ne pas retrouver les clichés du genre, comme la phrase « séparons nous »), l'oeuvre de Carpenter est profondément adulte, loin des films d'épouvantes pour ado. Un film terrifiant et claustrophobique. A noter en conclusion qu'il existe un remake, réalisé en 2011 par Matthijs van Heijningen Jr.