C'est déjà un spoiler de le rappeler (et je vais continuer, méfiez-vous), mais à travers la découverte précoce du carnage de la base norvégienne dévastée par le passage de la Chose, Carpenter annonçait à l'avance le déroulé du film vers sa conclusion pessimiste et incertaine. Pourtant, je n'aurais cessé tout du long de me prendre au jeu du suspense et de la méfiance pour une raison très simple que The Thing rappelle avec brio : nos vies ont beau être écrites à l'avance de la seule façon qui importe vraiment, à savoir qu'elles se soldent par une mort certaine, nous n'en persistons pas moins, le plus naturellement du Monde, à vouloir les vivre coûte que coûte. Cette veine prosaïquement biologique donne à cette histoire épurée (pas de grandes considérations sur les sentiments humains, tous étant éclipsés par une méfiance jamais relâchée) les allures d'un récit qui va à l'essentiel et y gagne en force plutôt que de s'éparpiller loin de son intention d'origine. L'épilogue et l'incertitude qui y règne (l'un des deux survivants n'est-il pas à nouveau infecté ?) amène une dose de malaise supplémentaire. De toute façon voués à la mort, on pourrait bien se dire qu'il importe peu que les deux soient sains ou non, mais insidieusement, le doute prolonge la sensation d'être dupé jusqu'au bout, jusqu'à la mort elle-même, et la victoire inutile de la créature scelle aussi celle de la tromperie. Impossible, dans ces conditions, de se préparer sereinement à sa mort, et voilà qui, je trouve, ravale encore un peu plus les deux survivants à leur condition de chair et de sang en détruisant l'image spirituelle de l'Homme qui marche avec droiture vers sa fin. J'ai bien été gêné, ceci dit, par le vieillissement compréhensible des fx, et les petits ratés qu'il inflige à l'immersion. Mais a posteriori, je me rend compte que leur aspect désuet ne dépareille pas avec celui imaginé à l'origine pour la créature, celui d'un être retors mais fragile, comme inadapté à notre planète qu'il colonise avec toute sa malice mais d'une façon laborieuse, pénible, se retrouvant maintes fois découvert et brûlé. Kurt Russel, dans tout ça, dépasse de la tête et des épaules le reste du casting, amenant par sa maîtrise (relative, certes) des événements et son regard froid comme l'Antarctique un certain recul vis à vis de la paranoïa qui s'empare de l'équipe, et qui livrée à elle-même, aurait je crois pu s'enfoncer petit à petit dans un sillon inextricable et lassant. Je préfère Halloween, mais ce classique de Carpenter n'en demeure pas moins un incontournable.