Dans la longue carrière d'Hitchcock, on a surtout retenu les films des années 50. Rien à dire là-dessus, on ne reviendra pas sur ces films importants (''Fenêtre sur cour'', ''Vertigo'' et ''La mort aux trousses'' parmis tant d'autre). Mais il faut quand même rappeller qu'Hitchcock a aussi réalisé des œuvres beaucoup plus mineures. C'est particulièrement flagrant dans ses tout derniers films qui vont du médiocre (''Pas de printemps pour Marnie'' en 64) au mauvais (''Le rideau déchiré'' en 66). ''Frenzy'', son avant-dernier film fait partie de la première catégorie.
Londres est en proie à la terreur. Plusieurs femmes sont retrouvées mortes, étranglées par une cravate. Richard Blaney est un ancien pilote de chasse, divorcé de Brenda. Il fut reconnu coupable de cruauté physique et mentale à son encontre. Et, devinez quoi ? Brenda est retrouvée étranglée ce qui fait de Richard le suspect n°1. Or le coupable n'est autre que Robert Rusk, un maraîcher extravagant qui est aussi une connaissance de Richard...(rassurez-vous, on le sait rapidemment).
Au cinéma, il est avéré que l'intérêt que l'on porte pour l'intrigue dépend d'abord du regard qu'on a sur le personnage principal. A la limite, il est plus important de créer un personnage (ou héros) passionnant et/ ou attachant qu'une intrigue sans faille. C'est toujours mieux que d'écrire une histoire riche en rebondissements mais où le spectateur se fiche complètement de ces derniers, puisque le héros est inintéressant au possible. Ce constat se retrouve particulièrement dans les films d'horreur où le spectateur est ou bien angoissé face à l'hypothétique mort d'un des protagonistes ou bien au contraire indifférent au sort réservé au protagoniste. C'est le premier bémol de ''Frenzy'' : j'ai nommé Richard Blaney (Jon Finch). Antipathique et insupportable, c'est une chose, mais médiocre, c'en est une autre. On ne fera pas la liste des héros antipathiques, mais ces derniers pouvaient faire naître la fascination chez le spectateur. Ce n'est même pas le cas là, le type est juste infréquentable. Si scénaristiquement parlant, c'est évidemment nécessaire (Richard fait un coupable d'autant plus idéal qu'il est détestable), c'est, dramatiquement parlant, beaucoup plus gênant. Quelles raisons avons-nous pour suivre les aventures de Richard ? Oui, nous revoilà face au ''faux coupable'', mais quel suspense peut-il naître autour d'un tel être médiocre ? On devrait avoir peur, suer, trembler pour le héros, comme on faisait autrefois avec Cary Grant et James Stewart. Pas ici ; soyons terrible, on souhaiterait presque que le personnage croupisse en prison le restant de ses jours. Par conséquent, le suspense que pouvait éventuellement procurer le film est sérieusement entaché et abîmé par ce choix. D'autant plus que la seule autre piste scénaristique intéressante, à savoir l'identité du coupable, nous est amenée trop rapidemment.
Le tueur justement est l'autre élément clé du film. Et aussi l'autre déception, moins grande cependant que la première. Sur le coup, on peut être impressionné par la prestation de Barry Foster. On peut même reconnaître le fait qu'on ne s'ennuie jamais quand il est à l'écran, tellement le personnage est extravagant. Mais, après coup, on se rend vite compte à quel point le portrait de Robert Rusk est conventionnel et banal. Même pour l'époque : ''Frenzy'' est sorti en 1972, Richard Fleisher a achevé son époustouflante trilogie sur les serials killers composée des films ''Le génie du mal'' (1959), ''L'étrangleur de Boston'' (1968) et ''L'étrangleur de la place Rillington'' (1971). Curieux comme on peut dénombrer plusieurs similitudes entre ce dernier film et ''Frenzy'', les deux étant sortis à un an d'intervalle. Même contexte géographique (Londres), même meurtres (par strangulation), même ''faux coupable'' (mais John Hurt était plus trouble que Jon Finch)... et bien évidemment, un meurtrier. La force des films de Fleisher tenait dans l'usage qui était fait de ses tueurs. Ces films-là étaient à la fois des thrillers mais aussi des films psychologiques qui exploraient les tréfonds de l'âme de ces meurtriers. Et ce n'est même pas vers ça que tend le maître du suspense qui caricature sans inspiration son meurtrier, qu'on imagine sans surprise frustré sentimentalement et sexuellement. Amusant cependant de voir une fois de plus l'obsession d'Hitchcock pour les mères (Robert semble vouer un culte à sa mère comme tant d'autres protagonistes dans la filmographie de sir Alfred). Mais sinon, le profil du meurtrier est fort simpliste. Pire, Hitchcock ne semble avoir aucun point de vue sur son serial killer. Si ce n'est que ce dernier représente l'explosion que suscite une société bourrée de frustrations diverses : la frustration est très souvent présente à l'écran (allant jusqu'aux meilleures scènes du film :l'inspecteur de police, contraint de manger l'horrible cuisine de sa femme). Mais à la fin, on est une fois de plus obligé de constater la mysoginie d'Hitchcock. Tuées, ridiculisées ou collet-montées, les femmes sont une nouvelle fois creuses et sans intérêt dans le cinéma du metteur-en-scène. En résumé, on se demande vers qui va la faveur d'Hitchcock.. Il déteste son héros, ridiculise ses personnages féminins et caricature son assassin.
Et le plus terrible, c'est que par moment, on retrouve le brio confondant du réalisateur. Tant dans la maîtrise du suspense et de la tension (comme cette scène où Rusk illustre le titre du film en essayant de récupérer sa broche, prisonnière de la main de sa victime) que dans la mise en scène (ce plan où l'on voit Rusk et l'une de ses futures victimes franchir la porte de l'appartement de Rusk, et où la caméra, plutôt que de les suivre, recule dans l'escalier, pour aboutir à la sortie de l'immeuble). Mais cette virtuosité est malheureusement épisodique , une certaine banalité démodée imprègne l'ensemble.
Malgré des moments bluffants, ''Frenzy'' prouve le déclin de son auteur. Scénario prévisible, protagonistes insignifiants... ''Frenzy'' vient surtout nous prouver un curieux fait : Hitchcock qui était un véritable avant- gardiste dans sa manière d'aborder le polar semble être dans les années 60 à la ramasse dans l'art cinématographique. Il fut hélas incapable de négocier le tournant opéré dès les années 60 (avec l'émergence du Nouvel Hollywood) et (horreur!) devint le plus ringard des cinéastes. Hitchcock est en fait mort après ''Psychose'' (1960), dernier grand film de son auteur (et non ''les Oiseaux''!).