Auréolé du succès de French Connection et L'Exorciste, William Friedkin se lance dans le projet d'une nouvelle adaptation du Salaire de la Peur, après celle de Clouzot 25 années auparavant, et entre alors dans un tournage compliqué, qui fut accompagné d'un échec lors de sa sortie en salle.
Ce qui est finalement plutôt logique tant Le Convoi de la Peur prend des risques et n'hésitent pas à s'aventurer sur des sinueux et sombres chemins. S'il reprend un schéma similaire à celui de Clouzot dans la construction du récit, William Friedkin s'éloigne tout de même du film français pour en proposer une vision toute personnelle, misant beaucoup sur l'ambiance et le cadre du récit, celui d'une Amérique du Sud en proie à la dictature militaire et la pauvreté, et c'est dans cet environnement que des âmes bannies et maudites vont accepter le fameux convoi.
Friedkin prend bien le temps de nous présenter un par un les quatre protagonistes, comment ils en sont arrivés là et leur vie dans ce contexte si particulier. Il parvient, sans lourdeur, à nous faire comprendre comment ils vont en arriver à accepter le salaire de la peur, il nous fait ressentir cette situation, la crasse dans laquelle ils vivent et la dureté des journées pour une rémunération de misère. C'est là que Le Convoi de la Peur est une grande réussite, dans la façon de nous faire vivre les tourments des personnages, comme en témoigneront les séquences d'hallucination de Roy Scheider, marquantes et d'une rare puissance.
Les sensations sont au rendez-vous, le mystère d'abord, puis la forte tension ensuite, tout sonne juste et on se retrouve immergé au cœur de la jungle. L'atmosphère est à l'image des personnages, glauque et poisseuse et Friedkin fait preuve d'une incroyable maîtrise pour mettre tout cela en scène, notamment la seconde partie et les impressionnantes séquences en forêt, d'une grande densité et emmenant encore plus Le Convoi de la Peur vers une noirceur et un pessimisme total.
Soutenue par l'hypnotisante bande-originale des Tangerine Dream, l'oeuvre crée une parfaite alchimie entre le son et les images, notamment dans la dernière partie, alors que le cinéaste parvient à faire ressentir une sensation de mouvement perpétuel, où les camions deviennent même des personnages à part entière. Il s’appuie aussi sur de remarquables comédiens, Roy Scheider et Bruno Cremer en tête, qu'il n'hésite pas à pousser dans leur dernier retranchement et ne laissant aucun regret vis-à-vis des choix initiaux de Steve McQueen et Lino Ventura.
William Friedkin propose avec Le Convoi de la Peur une oeuvre puissante et forte, où il nous fait ressentir toute la misère et la poisse humaine, celle poussant des hommes à accepter un salaire de la peur, et démontre une parfaite alchimie entre le fond et la forme, pour mieux nous faire vivre une fascinante aventure au cœur d'une jungle dangereuse.