"Les Sentiers de la Perdition !"
Quand William Friedkin reprend à son compte “Le Salaire de la Peur”, il n’est pas question d’en faire un vulgaire remake sans âme. Le réalisateur de “French Connection” et de “L’Exorciste”, veut rendre un vibrant hommage au grand Henri Georges Clouzot au travers d’une relecture à la fois enragée et sauvage, une vision typique d’un certain cinéma jusqu’au-boutiste, nihiliste et décomplexé des années 70. Intitulé “The Sorcerer”(le nom de l'un des camions du convoi), à l’international, rebaptisé chez nous “Le Convoi de la Peur” - un titre plus opportuniste collant au plus près du matériau d’origine - Friedkin nous renvoie au décorum insalubre et sordide d’une certaine Amérique Latine - celle du roman de Georges Arnaud - au moment où l’on retrouve nos trois (anti)héros, ou plutôt nos trois fugitifs.
Il y a tout d’abord Victor Manzon devenu Serrano (Bruno Cremer), vétéran de la Seconde Guerre mondiale et banquier fraudeur à Paris, Jackie Scanlon alias Juan Dominguez (Roy Scheider), chauffeur pour des gangsters new-yorkais ayant tué son patron dans un accident de la route et enfin, Kassem rebaptisé Martinez (Amidou), terroriste palestinien avec le Mossad à ses trousses. Venus se faire oublier quelque temps dans cet endroit reculé du monde, leur salut ne se fera qu’au prix du danger. Par l’intermédiaire d’un convoi de deux camions chargés de nitroglycérine à travers la jungle amazonienne, notre trio - ayant réussi la sélection, bientôt rejoint par Nilo (Francisco Rabal), un mystérieux tueur - prend la tangente ! Pour Friedkin - qui a pris tout le temps nécessaire pour nous présenter les protagonistes et les enjeux dans une première heure introductive - va dans une deuxième partie hallucinante, faire de“The Sorcerer”, une expérience cinématographique hautement anxiogène ! Au moment où le convoi démarre, Friedkin envoie ses héros - et du même coup, le spectateur - aux cœurs des ténèbres. Pris au piège par une nature sauvage, implacable, qui déchaîne toute sa fureur - pluie, vent, boue, ravins, chutes d’arbres - les camions avancent inexorablement. Au volant, les équipages sont à bout de nerf. Toute cette tension atteindra son paroxysme lors de l’éprouvante scène de traversée d’un pont surplombant un torrent charriant eau et boue. Ce moment de cinéma où le temps est suspendu, n’a plus rien de réel, le convoi semble évoluer dans une autre dimension, un monde parallèle dans lequel, la géométrie des corps et des objets n’a plus court. Tels des êtres possédés (à l’instar de la jeune Regan de “L’Exorciste”), les camions se contorsionnent, comme lors d’un sabbat - la position horizontale étant comme proscrite - la chorégraphie arrive bientôt au point de rupture ! Accompagné par la partition musicale du groupe Tangerine Dream, “The Sorcerer”, après le calme relatif de la première partie, va alors basculer en une véritable aventure mythologique, en une épopée désespérée, lorsque le convoi franchira le Styx !