Dans le registre des grandes œuvres de cinéma complètement oubliées, et ce dès leurs sorties, en l’occurrence ici en 1977, le Sorcerer de William Friedkin se pose là. Remake du classique de Henry-Georges Cluzot, j’ai nommé le salaire de la peur, le film de Friedkin propose l’élargissement du simple fait de convoyer l’instable nitroglycérine, contextualisant ce morceau de bravoure, politiquement, socialement. Le réalisateur de l’Exorciste et de French Connection, deux mastodontes de la culture cinématographique des années 70, trouve ici matière à déployer complètement ses compétences techniques, livrant un long-métrage tout simplement spectaculaire car jamais truqué, toujours véridique car réellement filmé dans un milieu naturel d’une hostilité crasse. Lorsque le cinéma ne narre plus une aventure mais qu’il en devient une à part entière, cela donne Sorcerer. Qu’importe Cluzot, son classique, cette version américaine, disons tout simplement internationale, se démarque allègrement de son modèle de par le savoir-faire majeur de son metteur en scène.
Récemment redistribué dans les salles, ce remarquable polar d’aventure trouve enfin, il n’est jamais trop tard, la considération qu’il mérite, en dépit d’un nouveau doublage audio qui ne satisfera pas, dans l’ensemble, les chanceux ayant découvert le film à son époque. Qu’importe, le public est alors invité à découvrir ou redécouvrir un film important, majeur dans la filmographique d’un grand cinéaste, un artisan du cinéma qui n’aura jamais cessé d’alterner entre exploits et coups dans l’eau. Oui, comment ne pas acclamer William Friedkin après avoir contemplé, les yeux plus ou moins exorbités, la traversé du pont suspendu par deux camions rouillés, spectaculaire séquence, aussi épique que magistralement chorégraphiée. On imagine sans peine le parcours du combattant qu’a dû être le tournage de cette scène anthologique. Ajoutons à cela l’astucieuse odyssée visant à faire sauter un tronc d’arbre, l’immersion impeccable dans le campo dominicain, même si le pays n’est jamais cité, et cela donne un exercice de style parfaitement maîtrisé.
On pourrait toutefois critiquer l’éventuelle lenteur en vue de la mise en place de l’intrigue, quand bien même la réunion fortuite des divers protagonistes, les quatre convoyeurs de l’extrême, découle d’une certaine logique narrative. Quoiqu’on en pense, Friedkin semble avoir eu un certain mal à relier les divers destins entre eux. Mais lorsque cela est chose faite, le film est magistral. L’américain, le français, le moyen-oriental, le latino, chacun représente l’angle d’un carré magique, criminel en fuite, pour des motifs variables, et qui se retrouvent à devoir acheter leurs billets de sortie d’une jungle étouffante en prenant un risque considérable contre rémunération. Si l’on connaît un peu moins certains comédiens, les prestations de Roy Scheider et de Bruno Cremer sont impeccables, chacun incarnant une tête brûlée mystérieuse, des acteurs au travail respectable puisqu’ici confronté à ce qui fût sans doute le tournage le plus rude de leurs carrières.
Grand film d’aventure, polar épique, Sorcerer méritait bien cette remise à niveau sur le plan de sa distribution. Il est dès lors inexcusable, pour tout amateur du cinéma de William Friedkin, de passer à côté de ce très bel essai, prodigieux techniquement. S’il souffre de quelques lenteurs, d’une entrée en matière un brin laborieuse, il n’en reste pas moins un classique du genre, une œuvre certes non réellement innovante mais diablement efficace. 16/20