Enfin vu ce film qualifié de maudit en raison des exigences de son metteur en scène, de la durée du tournage, de ses péripéties dramatiques et de son échec au box-office.
A ce qu’il paraît « Sorcerer » n’est pas un remake du « Salaire de la Peur » d'Henri Georges Clouzot, une inspiration car les personnages de « Sorcerer » n’ont rien à voir avec « Le Salaire de la Peur ».
On peut toujours jouer sur les mots ou les nuances, « Le convoi de la peur » tout en proposant une lecture personnelle de William Friedkin a toutes les apparences, tous les contours du « Salaire de la Peur ».
A bon pinailleur, salut !
Il reste que quatre hommes d’horizons différents doivent transporter de la nitroglycérine dans des camions usés sur des routes impossibles à travers une jungle récalcitrante.
Les chauffeurs sont constitués en binômes : l’américain Scanlon (Roy Sheider) avec l’espagnol Nilo (Francisco Rabal) en tête du convoi ; le français Serrano (Bruno Cremer) et le palestinien Kassem (Amidou) à l’arrière.
Comme on le remarque, ces hommes viennent de pays différents et sont des voyous réunis dans un village perdu et misérable d’Amérique Centrale.
Village qui n’est rien d’autre qu’une sorte de grande prison à ciel ouvert. En effet, à défaut d’être vraiment emprisonnés entre quatre murs, William Friedkin préfère jouer sur la symbolique. Et c’est une des bonnes idées du film.
Cette idée fait partie de la scène d’exposition qui fait suite aux présentations des protagonistes.
Et oui, avant, le metteur en scène nous brosse le portrait des quatre hommes, un par un, chacun dans leur pays d’origine.
Ainsi, dans le désordre,
l’américain est chauffeur d’une bande de bras cassés qui a eu la mauvaise idée de braquer un mafieux qui le recherche ; l’espagnol est un tueur à gage recherché ; le palestinien fuit après avoir fait exploser une bombe dans le quartier juif de Jérusalem ; et le frenchie baigne dans la malversation financière et laisse derrière lui la honte et le déshonneur à sa famille !
Scènes d’exposition qui durent près d’une heure !
Et pourtant aussi étrange que cela puisse paraître, je n’ai pas trouvé le temps long tellement que c’était dense.
Cependant, je me suis tout de même posé la question suivante : « Quand est-ce qu’ils partent ? »
Evidemment, la scène du pont est incroyable, mais je retiendrai particulièrement celle de Bruno Cremer et d’Amidou.
Une autre bonne idée du film : soudain, apparaît une gerbe de branches entremêlée qui vient heurter le pont suspendu et plaquer Serrano contre son camion. Cette gerbe qui apparaît subitement a tous les accents du film d’horreur en ce qui me concerne. Elle est imposante comme un monstre qui vient broyer le corps de Serrano. On ne la voit pas venir, le metteur en scène s’est bien gardé de nous dévoiler les environs, le spectateur, soudainement surpris, est comme les deux personnages, obnubilé à faire passer le camion sur un pont suspendu lequel est déjà éprouvé par le premier passage conduit par Scanlon et la tempête de pluie.
Autre bonne idée : la calandre d’un des camions représente le démon Pazuzu.
Ce n’est pas anodin ou un effet de style, cette représentation nous dit que le convoi est déjà marqué sous le sceau du maléfice (tiens tiens, un reste de « l’Exorciste » ?).
A cela s’ajoutent deux autres personnages terrifiants : la jungle et la musique de Tangerine Dream participent activement à donner au récit sa dimension horreur.
« Sorcerer » est un film intense au rythme soutenu.
Je peux comprendre que la première heure peut rebuter certains. Une première heure pourtant indispensable et maîtrisée par William Friedkin. Ce n’est sans doute pas objectif, un autre metteur en scène n’aurait pas réussi ce pari.
Ici, le spectateur que je suis a ressenti le poids de la chaleur, de l’humidité, des solitudes, des regards perdus ou curieux, des frustrations, des colères sourdes, de l’attente, tous ces comportements liés à l’enfermement dans une prison.
Comme ces prisonniers de ce village pourri d’Amérique Centrale, le spectateur n’a qu’une envie : déguerpir au plus vite !
Comment ?
Enfin, le départ.
Le voyage commence, et contre toute attente, l’intensité retombe légèrement ; je sais pertinemment que le voyage sera ponctué d’obstacles, que les routes seront des pièges pour ces deux camions parce que je suis conditionné par « Le Salaire de la Peur » ! Je m’apprête à compter les points, si je puis dire.
Cependant, le metteur en scène arrive à me surprendre dans la soudaineté de trois scènes dont celle du pont avec Cremer et Amidou.
Apparemment, William Friedkin n’aurait fait aucune concession, il a eu ce luxe de prendre son temps.
Tant mieux ? Tant pis ?
William Friedkin aurait déclaré : « Film dont je ne toucherai pas une seule image. ».
Cela signifie que le metteur en scène n’a aucun regret, aucun reproche à se faire, il n’est pas responsable de l’échec.
Son seul regret aurait été de refuser les conditions de Steve McQueen. L’acteur aurait permis au public de suivre.
William Friedkin n’a pas eu de chance, son film a eu le tort d’arriver à un mauvais moment. C’est tout.
Ce convoi « Sorcier » n’est rien d’autre qu’une chronique d’une mort annoncée.
Mort qui ne concerne pas seulement les personnages du film mais le film lui-même ! La vision de William Friedkin s’est avérée aussi explosive que la nitroglycérine malmenée par les camions.
A voir en V.O si possible.