Josef von Sternberg d’avant Marlène Dietrich ce sont principalement des films muets dont quatre ont disparu avec tant d’autres dans le tourbillon qui a emporté le cinéma muet à la fin des années 1920. Venu de sa Vienne natale, le jeune homme (né en 1894) débarque avec sa famille à New York où il travaille comme coursier dans un atelier de dentelles. Il rejoint ensuite un entrepôt cinématographique qui lui permet de devenir monteur. Là, il se fait remarquer par le réalisateur d’origine française Emile Chautard qui en fait son assistant (il travaillera par la suite pour David W. Griffith, Charlie Chaplin, Erich von Stroheim, Robert Wiene, Victor Sjöström et Abel Gance). Il finit par accéder à la réalisation en remplaçant Roy William Neill malade.
Son caractère affirmé déjà bien présent, il rencontrera des problèmes lors de son passage d’United Artists à la MGM, studio beaucoup trop conventionnel pour celui qui se vit déjà comme un artiste. Il atterrit alors à la Paramount qui sera le studio de sa période de gloire, celle la plus créative où il réalisera tous ses chefs d’œuvre avec Marlène Dietrich. Il y débute en acceptant de revenir à l’assistanat mais remplaçant brillamment Frank Lloyd sur « Children of divorce », il se voit proposer la réalisation des « Nuits de Chicago » sur un scénario de Ben Hecht qu’il a réussi à imposer à ses côtés. Ben Hecht qui deviendra l’un des plus célèbres et prolifiques scénaristes d’Hollywood (Hitchcock, Hawks, Hathaway, Mankiewicz, Preminger, Curtiz…) recevra pour ses débuts dans le métier l’Oscar du meilleur scénario original. Josef von Sternberg dont le passage à la MGM a laissé des traces sait qu’il doit réussir son premier film, sous peine de disparaître de la circulation.
Examen de passage réussi, le film étant un succès public accolé à une critique élogieuse qui en fera un peu exagérément le précurseur du film de gangsters qui fera la réputation dans les années 1930 de la Warner avec des acteurs comme James Cagney, George Raft, Edward G. Robinson et Humphrey Bogart. En réalité « Les nuits de Chicago », avec le milieu de la pègre comme toile de fond, est un drame tournant autour du classique triangle amoureux auquel Von Sternberg ajoute la dimension tragique de l’honneur qui finit par transcender les enjeux plus courants de la rupture sentimentale. Un truand aux manières un peu rustres mais au tempérament chevaleresque interprété par le très massif George Bancroft qui accompagnera Sternberg sur quatre films, est amoureux de « Plumes » une superbe créature campée par Evelyn Brent qui elle-même est amoureuse d’un avocat ruiné par l’alcool (Clive Brook) pris en amitié puis devenu la tête pensante du truand.
Le triangle amoureux baroque ainsi formé est rapidement embarqué dans une intrigue où se mêlent et s’affrontent trahison, culpabilité, respect de l’amitié et sexualité à fleur de peau. Des thèmes que Von Sternberg pourra largement développer quand il aura enfin rencontré avec Marlène Dietrich celle qui lui permettra d’exposer sur grand écran une perfection esthétique très particulière qui encore aujourd’hui n’a connu aucune réelle équivalence. Evelyn Brent ici magnifique de sensualité comme dans « Crépuscule de gloire » (1928) tout comme Betty Compson, héroïne des « Damnés de l’océan » (1928) et Fay Wray dans « L’assommeur » (1929) sont les très jolies et talentueuses esquisses d’une icône que Von Sternberg finira par trouver à Berlin quand, envoyé par la Paramount, il se rendra dans la capitale allemande pour y diriger « L’Ange Bleu ». On connaît la suite.