Ma première expérience avec un film de Kobayashi fut "Rebellion", un chef-d'œuvre incontestable du septième art seulement égalable par les grandes épopées dramatiques de Kurosawa: "Kagemusha", "Ran". C'est alors que vint le visionnage d'un film dont j'avais entendu parler à mainte reprises comme étant un incontournable du chambara: "Harakiri", du même Kobayashi. Difficile il est vrai , pour les adeptes du chambara de résister à un film au nom si explicite, révélateur et à la fois si mystérieux et énigmatique. En effet ce titre "Harakiri" renvoie à ce code du bushido, cet honneur du samouraï qui cultive l'imaginaire du public occidentale. Mais à travers ce mot et plus largement ce film, Kobayashi dans sa traditionnelle ligne contestataire met en accusation un système, celui du régime autoritaire des Shoguns Tokugawa du XVIIe siècle, un système dépourvu de toute humanité reposant sur le code du samouraï (bushido), sous couvert duquel il porte un regard avisé et un brin pessimiste sur la société japonaise du XXe siècle, un mode opératoire qui se retrouvera cinq ans plus tard dans son second film de sabre: "Rebellion". Le film est d'une incroyable modernité, le noir et blanc est sublime, le moindre mouvement d'un personnage ou de la caméra est un bijou de perfection réglé au millimètre, les décors rigides, clos, et la symétrie maladive du réalisateur créés, en plus de l'angoissante musique de l'inimitable Toru Takemitsu, une désagréable sensation d'enfermement qui présage de la cruauté constante du film. Car oui, "Harakiri" comme un grand nombre d'œuvres de Kobayashi est un film cruel, jugez-en par vous même… le harakiri que le jeune Chijiwa Motome pratique à contre cœur avec une simple lame de bambou, littéralement rongé par la peur, sous le regard presque amusé de ses "assassins" est sans nul doute la scène la plus cruelle qu'il m'ait été donné de voir au cinéma, mais cette scène, si horrible soit-elle, demeure d'un réalisme et d'une modernité incroyable: la souffrance peut littéralement se lire sur le visage de Motome, dont le corps crispé se recroqueville de douleur sur sa lame de bambou, le sang est lui aussi d'un réalisme saisissant, ajouté à l’inimitable et angoissante bande originale du compositeur Toru Takemitsu la scène devient effrayante, cruelle et incontestablement marquante. Ce qui rend ce film incontournable, c'est aussi le rôle principal, celui de Hanshiro Tsugumo interprété par l'illustre Tatsuya Nakadai. En effet, ce personnage bien que plutôt froid au premier abord devient de plus en plus proche de nous à mesure que le film avance et que sa dure histoire est révélée. Dans ce film, Nakadai joue un rôle très différent des personnages névrosés des films de Kurosawa que sont "Yojimbo" et "Sanjuro", il interprète cette fois les rôles d'un père et d'un grand-père aimant dont le seul plaisir est de profiter de sa famille, un rôle dont il s'accommode parfaitement et qu'il interprète comme à son habitude fiévreusement et avec une perfection phénoménale. Si dans la première partie de cette critique j'ai déjà vanté les mérites de la mise en scène de Kobayashi, le grand duel entre Tatsuya Nakadai et Tetsuro Tamba est une œuvre d'art à elle seule. En effet, les prises de vue sont superbes, le combat une fois lancé est une chorégraphie réglée au millimètre, une gracieuse danse entre les deux samouraïs, ce qui fait de ce duel, qui a pour seul défaut un très léger manque de naturel, un véritable modèle du genre. Ainsi, "Harakiri" est un chef-d'œuvre du cinéma, pas seulement japonais mais aussi mondial, qui propulse incontestablement Masaki Kobayashi au rang de grand maître du septième art.