Ce qu'on pouvait reprocher dans Cronos a plus ou moins été corrigé avec ce Mimic, premier film où l'on voyait véritablement poindre ce qui ferait de Guillermo Del Toro l'un des réalisateurs à la plus belle photographie de sa génération. C'est surtout au niveau de la forme qu'il corrige les écarts de son prédécesseur, constituant les prémices de ce qu'il fera plus tard avec les fameux Hellboy et Blade.
On en retrouve d'ailleurs de nombreux passages, dont le combat musclé d'Hellboy sur les rames du métro, et toute la partie combat souterrain du second Blade, dont Mimic semble être une sorte de brouillon, d'esquisse qu'aurait réarrangé Guillermo Del Toro avec plus de budget, une écriture plus maîtrisée et des personnages plus attachants. On a sérieusement l'impression, à regarder Blade II rétrospectivement, qu'il est en fait une moitié de remake du second film de l'artiste.
Et s'il fallait le refaire en mieux, c'est qu'il y avait de base suffisamment d'éléments dérangeants pour ne pas encore lancer la carrière du réalisateur sur les rails des grands faiseurs de genre (L'Echine du diable viendra mettre tout le monde d'accord). Parmi eux, un contrôle absurde de la Miramax, qui entonna tout une ribambelle de reshoots notamment menés par un certain Robert Rodriguez, larbin des Weinstein à ses heures de chômage.
S'y ajoutera une fin qu'on imagine absente de la version originelle de Del Toro, sur fond de happy-end et de survit d'un personnage particulier, qu'il aurait fait mauvais genre de tuer, rendant l'oeuvre trop trash. Tuer deux gosses insupportables est acceptable, se débarrasser du surdoué, seul personnage enfant développé, aurait été, si l'on en croit les pensées des producteurs, trop sinistre et psychologiquement dur pour plaire au grand public. Autant dire qu'il fallait trouver un fils de substitution à notre couple de héros, en attendant qu'ils aient leur véritable enfant à naître.
C'est aussi pour cela que Del Toro a tenté de le refaire avec Blade, lui apportant sa propre fin, et faisant de son pseudo remake de Mimic une oeuvre qu'il a maîtrisée avec brio, sans qu'on ne vienne couper les délires visuels et la noirceur d'écriture qui font sa personnalité d'artiste. Personnalité qu'on retrouve certes ici, mais que l'on sent tronquée de sa substance première, de sa sincérité de passionné d'horreur.
Une artificialité qu'on ne ressent pas tout du long; il reste heureusement du film d'origine la majeure partie du travail de Del Toro, élément qu'on ressent dans le traitement des personnages, les thématiques qu'il aborde (toujours ce rapport à l'enfant matûre qui devient l'élément pionnier d'une intrigue dont les adultes sont finalement les seconds rôles, et qui ne pourra se résoudre que par l'aide de pré-adolescents), dans cette manière de narrer le film partagée entre le conte et l'hommage à toutes ces séries b des années 80 découlant du succès du premier Alien.
Il y a quelque chose de fascinant dans l'hommage que rend le film au sous-genre des monstres de science-fiction, qu'il se réapproprie avec talent et mêle habilement aux thèmes chers de son fameux réalisateur, dont celui de la survie face à une menace incontrôlable et monstrueuse, pas toujours très bien représentée par des CGI balbutiants (Del Toro se débrouillera largement mieux avec les costumes et les maquillages pour ses prochains films (voir la duologie Hellboy et Le Labyrinthe de Pan pour en attester), le tout CGI faisant perdre à son art toute la saveur de ses représentations matérielles) et quelques maquillages dissimulés dans la pénombre, les moyens n'étant pas forcément suffisants pour assumer toutes les finitions qu'ils requéraient.
A l'horreur des monstres vient s'ajouter son ultra-violence jamais gratuite, qui joue avec talent sur la suggestion jusqu'à cette scène de mort du charismatique Josh Brolin, parfaitement filmée, jouée et montée, démontrant toute la virtuosité visuelle que Del Toro possédait déjà à l'époque. Car si son art s'est bonifié avec le temps, nul doute qu'on trouvait déjà dans ce second film des élans de lyrisme insoupçonnable, couplés à une gestion des rythmes et de l'action dont lui seul connaît le secret.
Soigné dans sa photographie et son ambiance, Mimic possède un casting qui manque peut-être d'un peu de charisme, si l'on excepte ce fameux Josh Brolin, d'une virilité à toute épreuve. Il n'est pourtant pas aidé par son personnage lâche et stéréotypé, Mimic ne brillant assurément pas par la finesse de son écriture explosive. Et s'il est proche des sous-aliens d'antan, c'est aussi pour Mimic l'occasion de prouver au spectateur qu'il est l'un des seuls produits dérivés de la franchise Alien valables, principe de course poursuite qu'il a parfaitement transposé dans les milieux souterrains d'une ville américaine banale.
Le métro devient un monstre à part entière, prenant tout autant vie que le Nostromo de Ripley, créature qui deviendra bientôt plus effrayante que la menace tangible des cafards géants, le travail de photographie et le soin particulier apporté au son lui donnant profondeur, sombreur et atmosphère sinistre, pour ne pas dire poisseuse. C'est glauque, purulent, sans fin; l'on dirait presque le Labyrinthe de Pan qu'on visiterait enfin, pour y découvrir des cadavres d'humains et des créatures cauchemardesques.
Il paraît évident, en sortant de Mimic, qu'on est passés à côté de ce qui pouvait être l'un des meilleurs Del Toro. Tronqué, modifié dans son dernier acte et sa conclusion, il apparaît au final comme une série b très divertissante dont la profondeur est finalement gâchée par sa volonté de faire un divertissement grand public pourtant ultra-violent, qui s'il tue des enfants détestables n'osa pas s'ériger contre la morale ironique des Weinstein. D'un point de vue financier, mieux vaut être un prédateur sournois dans la vie réelle que dans celle inventée des films de nos genres favoris.