Ça commence (ou presque) par une scène prodigieuse dans une chambre d'hôtel, où Eric Stoltz et Julie Delpy engagent une conversation de plusieurs minutes, qui montre que le cinéma peut être aussi simple et parfait que l'écriture. Il suffit de trouver le bon cadre, les bons mots, et tout suit alors sans sourcille. Killing Zoe c'est 24h de sang dans Paris. Le sang qu'on recrache après avoir consumé des drogues, ou bien le sang qu'on fait gicler des victimes collatérales d'un braquage de banque. Zed, spécialiste en coffres débarque des États-Unis pour aider son vieux pote Eric à braquer la seule banque ouverte le 14 juillet. Eric et ses potes crèchent dans une piaule moisie, entre les rats et les singes, un Viet, deux québécois, deux français, un british et maintenant un américain. Cette team a l'air de toute sauf de spécialistes et Zed s'en inquiète assez rapidement. Mais Eric contrôle tout, Eric c'est le boss et il lui dit que tout est OK alors tout est OK.
On pourrait s'attendre à ce qu'à un jour du braquage l'heure soit aux précisions et aux préparations, mais ce n'est pas vraiment le cas. Ceux qui ont vu Ocean's Eleven s'amuseront du contraste. Bref. Eric veut faire découvrir à Zed le vrai Paris, celui des profondeurs, loin en dessous des conneries pour touristes. La caméra suit alors son maître, Eric le barbare, tel qu'il se présente dès sa première apparition. Ceux qui s'attendent à voir un américain déclarer sa flamme d'amour à la France en utilisant des plans aussi banaux que lassants, passez votre chemin. Pas de jolies touristes sur les champs, de Tour Eiffel illuminée, juste des travelos paumés et des drogués au jazz qui font les cons dans une vieille Renault. On est pris dans ce trip auto-destructeur, toujours dans la surenchère, dans les dialogues surréalistes, et plus les minutes passent et plus nous avons cette énorme mal de crâne, Zed way. On en vient presque à regretter la chambre d'hôtel pourrie où on s'est installé en débarquant : au moins il y avait la sublime Zoe, ou Zoey. Oui, je dis on, car en choisissant de filmer ses personnages avec autant de proximité, en jouant sur la première personne, entre hallucinations et déformations sonores, on peut considérer qu'on pénètre presque le subconscient des personnages et qu'on vit avec eux cette folie nocturne. La bande-son est là pour rythmer à merveille le film, et l'expérience sensorielle est donc totale.
Vient le lendemain matin, sans transition. Gueule de bois dans le camion et pourtant on est déjà devant la banque. Crash, crash, boom, boom, ça pète, ça crie, ça pleure, ça saigne. Une deuxième partie de film qui se révèle être de la pure dynamite, avec une tension qui monte crescendo et qui finit par nous péter à la gueule dans un mélange dégueulasse et jouissif. Rogery Avary était déjà maître de la narration et du montage en 1993, et son style n'a pas grand chose à envier à celui de son vieil ami Tarantino. D'ailleurs, les fans de Reservoir Dogs devraient prendre leur pied avec Killing Zoe, une patte similaire, un délire quasi-commun et un plaisir pour le spectateur à consommer sans modération. Le film est comme une drogue dure, qui, heureusement, dure à jamais...