En 1934, John Ford s'est déjà bâti une solide réputation, sans pourtant briller de son aura de légende qu'il gagnera bien plus tard après avoir livré ses chefs d’œuvres que l'on connaît tous par cœur. Ce film est néanmoins pourvu de deux atouts de taille : primo c'est un « vrai » John Ford (et tout ce que ça implique : une âme fordienne, une esthétique fordienne...en deux mots c'est trop cool), et secundo c'est sans doute un des premiers survival de l'histoire du cinoche ! Combinez moi ça et vous serez aux anges, si vous avez le bon goût d'adorer à la fois les bon vieux classiques et les fameuses séries B cultes des années 80 ultra survivalesque. Ajoutez à cela que La patrouille perdue est loin d'être un embryon de ce sous-genre délectable, œuvre que l'on admire parce qu'elle a posé les bases et tout le tintouin, non, ce film va décidément plus loin que le squelette du survival et se permet le luxe de l'étoffer avec personnalité, en empruntant la voie du huis clos. Pour les idées type « fondatrices » on a une caractérisation psychologique d'un petit groupe, avec croisement idéologique à la clé (Boris Karloff en prêtre qui pousse le bouchon jusqu'au fanatisme, absolument génial). La musique du grand Max Steiner (monsieur Autant en emporte le vent) est parfaitement synchronisé avec l'émotion qui se dégage des images : la joie et l’insouciance des américains retombe vite lorsqu'un coup de feu abat l'un de leurs compagnons, la partition se montre alors plus inquiétante, traduisant l'oppression du désert et des maures. Enfin ce film se montre d'une rare noirceur (d'autant plus surprenante qu'elle vient de Ford l'optimiste d'avant Liberty Valance) dans son développement narratifs, poussant le concept de survival jusqu'à un paroxysme très audacieux à l'époque (en plus de cela des passages jugés trop peu « en règle » ont étés coupés!) Les arabes représentent une menace mortelle, invisible, l'incarnation même du désert destructeur qui va jusqu'à l'abstraction : on ne les apercevra jamais, sauf à la fin du film, et à ce moment là rien ne prouve que le sergent seul ne délire pas, et tout peut être fatalement remis en question jusqu'à l'existence de la section du sergent et de l'oasis...Peu importe si l'on considère ce film comme les mirages d'un homme seul errant dans le désert ou si les situations se sont vraiment produites, il y a d'autres idées osées dans cette œuvre de Ford. La mort rapide d'une demi douzaines d'hommes qui crée un cimetière où l'on plante des sabres dans le sable, avec rage, comme pour se venger de l'ennemi désertique. Les mirages d'un homme filmé en vue subjective, l'arrivée clownesque d'un « secour-mirage », le suicide fanatique final...bref, c'est du lourd, surtout pour un film si ancien, 1934 remontant presque à la période muette...Clouant, stupéfiant, et, même si l'on ne peut pas le ranger entre Mad Max 2 et New York 1997, car revers de la médaille l'ancienneté fait pâtir le ludisme, la Patrouille perdue une pépite à conserver précieusement.