La fin des années quarante et une bonne partie des années cinquante virent le triomphe absolu des comédies musicales produites par Arthur Freed pour la MGM et réalisés par Vicente Minnelli ou Stanley Donen sur des scénarii de Betty Comdem et Adolph Green. Sans égaler les deux sommets que sont « Singin’ in the Rain et « The Band Wagon », « French Cancan » est loin de démériter. Au départ, ce n’était pas un projet de Jean Renoir. Toutefois, en écrivant un nouveau scénario, il s’appropriât totalement le projet. Entièrement reconstitué en studio, le Paris pittoresque de Renoir (hommage à Toulouse-Lautrec) n’a rien à envier à celui de « An American in Paris » de Minnelli et la virtuosité finale du numéro de French cancan, à vingt quatre danseuses s’il vous plaît, est un très grand moment. Dans tout bon music hall qui se respecte il y a bien sur une histoire d’amour, et comme dans « Le carrosse d’or » trois hommes soupirent pour la même femme. Ici c’est pour la délicieuse Nini, à laquelle Françoise Arnoul apporte toute sa grâce. Comme Camilla, elle finira avec le spectacle comme seul amant, sauf que le drame cette fois, se teinte de sagesse, mais aussi de gaité, ce qui est fréquent chez Renoir. Le cinéaste, à l’égal des grands maîtres américains, ne néglige aucun personnage, aucune scène, aucune réplique. De la copine qui console le petit boulanger, à la clocharde attachante en passant par la blanchisseuse, mère de Nini, aux répliques d’anthologies (Valentine Tessier en forme olympique) et le couple à la terrasse du café d’en face dont les remarques acides préfigurent les deux vieux du Muppets Show, tous, sans exception aucune, sont aussi épatants qu’attachants. Cette histoire plus ou moins romancée de la création du Moulin Rouge par Charles-Joseph Zidler (Henri Danglard) semble couler de source. Pourtant cette facilité évidente cache en réalité un travail herculéen, où chaque détail est pensé, voulu et réalisé comme tel. Face à cette mise en scène parfois vertigineuse d’aisance, un seul petit regret : Charles Boyer ne put honorer le choix de Renoir, qui du se rabattre sur Gabin, par ailleurs vexé de n’avoir pas été le premier choix. Ce dernier montre ici les prémices des futurs numéros d’acteur, qui, à force de cabotinage narcissique, l’entraîneront à se parodier lui-même. Par bonheur, le reste du casting est simplement magique. Pour ceux qui pensent que les réussites de la comédie musicale française se limitent à Jacques Demy, voir ce très grand film est une obligation !