Un détachement de soldats a pour mission de protéger un dépôt de munition en Grèce, et prend ses quartiers dans un fort à l’abandon. À partir de ce film de guerre en creux, temps de pause où se cristallisent les tensions, Werner Herzog tire une œuvre flamboyante sur la naissance de la folie dans le cœur et l’esprit du soldat : déraciné, traumatisé, ce dernier erre parmi les ruines que son art a engendrées, à la recherche de sens, du sens de son existence. Parce qu’il prend peu à peu conscience que le vide alentour n’a d’égal que son néant intérieur, Stroszek se révolte et reproduit ainsi le fabulateur tzigane venu lui demander asile quelques jours plus tôt. Dans cette perspective, la folie apparaît comme le moyen de reprendre possession de son destin, de rétablir, au sein de cet espace inerte, des signes de vie. Le soldat devient alors une figure prométhéenne et déclare la guerre à ses semblables au nom de sa nature exceptionnelle : on le voit allumer des feux d’artifice pour tenter de graver sa légende dans le ciel obscurci et incendier le soleil et la mer, on le voit s’adouber lui-même roi d’une forteresse qu’il entend bien défendre coûte que coûte. Herzog orchestre cette lente agonie par une rupture rythmique soudaine : un champ d’éoliennes vient contrarier la perception de Stroszek : toutes ces hélices qui tournent ensemble, sans arrêt ni mouvement personnel, trouvent dans l’âne mort que des habitants tarderont à remorquer une résonance funeste. Vanitas vanitatum. Le cinéaste nous fait part des thématiques qui ne cesseront de l’obséder par la suite, et dont la plus prégnante est le vertige de l’homme face à l’impression d’éternité. Impression qui l’engloutit et lui rappelle sa condition de mortel, impression qui le projette dans la banalité de son quotidien, vaste scène décimée par la guerre dans laquelle il ne fait que passer, cherchant par instants à en déchiffrer le sens sur des pierres ancestrales. Signes de vie, premier film, premier chef-d’œuvre pour Werner Herzog.