Quarante ans après Jean Dréville, Patrice Chéreau décide de porter à l’écran le roman historique d’Alexandre Dumas père, La Reine Margot.
De l’appellation "roman historique", il vaut mieux conserver le terme "roman" que le terme "historique". En effet, il ne faut pas aller voir La Reine Margot en pensant voir un film fidèle à la réalité car Chéreau, dans la tradition de Dumas, est loin d’être historiquement exact : le film débute par le mariage de Margot et d’Henri de Navarre à l’intérieur d’une église alors que, dans la réalité, il a eu lieu sur le parvis de Notre-Dame-de-Paris afin de permettre aux nombreux protestants présents d’y assister ; Charlotte de Sauve n’est pas morte lors d’une tentative d’empoisonnement contre Henri de Navarre en 1572 mais de mort naturelle en 1617 (soit 7 ans après Henri de Navarre, devenu entre-temps Henri IV) ; cette même personne était de plus totalement française, chose que le fort accent italien d’Asia Argento empêche de croire ; Charles IX et Henri, duc d’Anjou (futur Henri III) ont des allures de hard-rockers très éloignées des portraits de l’époque ; dans la réalité, Catherine de Médicis n’est pas involontairement responsable de la mort de Charles IX…
Chéreau lui-même reconnu d’ailleurs qu’il n’avait pas voulu faire un véritable film historique mais filmer une histoire assez contemporaine. Ainsi, malgré une reconstitution assez impressionnante au niveau des décors et dans la représentation des massacres de la Saint-Barthélemy (Chéreau filme des monceaux de cadavres jonchant dans les rues de Paris), le film peut évoquer certains évènements contemporains à sa réalisation. En effet, le film montre un génocide alors qu’un mois avant sa sortie débuta le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda et parle d’une guerre de religion alors que depuis 1991 régnait en Algérie une guerre civile à forte connotation religieuse également…
Toutefois, cette volonté de ne pas vouloir faire un film historique peut jouer un peu contre lui car il n’est pas obligatoirement facile pour un spectateur contemporain de réellement comprendre les motivations qui poussèrent à la nuit de la Saint-Barthélemy surtout quand on voit que Charles IX est assez proche de Coligny avant de décider qu’il fallait exterminer tous les protestants. Chéreau semble surtout vouloir filmer la folie ! Le monde dans lequel les personnages évoluent est d’ailleurs assez fou et est un mélange de violence (le film est très sanguinolent) et de sexe (les personnages font des orgies et peuvent avoir des relations incestueuses : Margot, femme très libérée, a visiblement été la maitresse de ses frères, ce qui est probablement historiquement vrai). Cette folie jouent sur la personnalité des personnages : Charles IX semble psychologiquement instable et dépressif, le duc d’Anjou et Catherine de Médicis sont près à tout pour le pouvoir…
Si ces personnages sont aussi crédibles, c’est d’ailleurs en grande partie grâce à l’interprétation de comédiens totalement investis dans leurs rôles. D’ailleurs, ceux-ci furent salués à l’époque puisque Virna Lisi (effrayante Catherine de Médicis) remporta le Prix d’interprétation féminine à Cannes (qui donna d’ailleurs au film le Prix du Jury) et que les Césars récompensèrent, outre les costumes et la photographie, les interprètes à trois reprises : Meilleure actrice pour Isabelle Adjani, Meilleur second rôle masculin pour Jean-Hugues Anglade et Meilleur second rôle féminin à nouveau pour Virna Lisi.
Chéreau réussit ainsi un beau film d’acteurs avec des costumes et des décors magnifiques mais peut, par la folie permanente qu’il fait régner sur l’univers qu’il filme (mais cela est-il surprenant quand on parle la Saint-Barthélemy ?) et l’aspect théâtral de certains dialogues (Chéreau était également un metteur en scène de théâtre et d’opéra très prolifique), empêcher le spectateur de totalement s’immerger dans le film.