Quand il réalise « M.A.S.H » en 1968, Robert Altman a déjà 43 ans et une carrière qui végète, ne réussissant pas à effectuer la transition du petit au grand écran. La défection de réalisateurs confirmés comme Mankiewicz , Zinneman, Lean, Nichols ou Kubrick le propulse à la tête de cette adaptation d’un roman autobiographique de Richard Hooker par Ring Lardner Jr. un des dix de la tristement célèbre liste noire. Sans doute mû par l’idée de frapper un grand coup et considérant qu'une paix relative lui serait accordée vu les deux films importants mobilisant les pontes du studio au même moment ("Tora, Tora, Tora" de Richard Fleischer et "Patton" de Franklin J Schaffner), Altman impose d'emblée tout ce qui fera l'originalité de son cinéma, l'iconoclaste, l'improvisation, l'overlapping (conversation où tout le monde parle en même temps) et le miroir tendu à la société américaine. Ici ce sera la dénonciation de l'atrocité de la guerre, en référence à peine voilée à celle qui bat son plein au même moment au Vietnam. Pour imposer ses vues et encore accroître sa liberté, il a renoncé à demander à son producteur (Ingo Preminger le frère d'Otto) des stars, préférant débaucher des acteurs en devenir comme Donald Sutherland, Tom Skerritt ou Elliot Gould ainsi que les membres d'une troupe de théâtre de San Francisco. Robert Duvall sera le seul acteur un peu expérimenté au sein du casting. Inutile de dire qu'Altman prendra quelques libertés avec le scénario de Ring Lardner Jr. pourtant à l'initiative du projet et collaborateur dans les années 1940 de réalisateurs aussi prestigieux qu'Otto Preminger ("Laura", "Ambre"), ou Fritz Lang ("Cape et poignard"). Le réalisateur est donc sur le fil du rasoir, jouant en quelque sorte son va tout avec ce pari un peu fou dans le style "Ca passe ou ça casse". En effet rien ne garantit que le public et la critique apprécieront ce pamphlet complètement débridé qui voie des jeunes médecins au look passablement hippie passer leur temps à se faire des blagues de potaches entre deux opérations sur de pauvres soldats qu'il faut soit amputer soit rafistoler avant de les renvoyer au front. Mais le risque aura payé et ce sera la récompense suprême au festival de Cannes de 1970 où le film rafle la palme d'or au nez et à la barbe de films reconnus plus intellectuels. La carrière d'Altman est à partir de cet instant lancée et son style reconnu. Il jouira d'une grande liberté à Hollywood même si certaines traversées du désert et certaines concessions au système jalonneront son parcours. Aujourd'hui avec le recul, le film hormis ses scènes d'anthologie (pour la plupart des gags) ne peut cacher ses maladresses, notamment une direction d'acteurs un peu trop relâchée à certains moments et des sauts de puces narratifs qui nuisent à la fluidité du récit. Mais il faut replacer "M.A.S.H" dans son époque et se dire qu'il constitua un sacré pavé dans la mare qui contribua comme d'autres films plus sérieux à engager les Etats-Unis sur la voie du retrait au Vietnam. Altman a certes pris un risque mais malin comme un singe, il avait sans doute en tête le succès de "Docteur Folamour", le brûlot incendiaire jeté à la face du monde six ans plus tôt par Stanley Kubrick qui aurait pu prendre en charge lui-même, la réalisation de "M.A.S.H". Si son film n'atteint pas la virtuosité, il sera toujours rafraîchissant , même pour les plus jeunes de passer deux heures dans ce joyeux hôpital de fortune en compagnie de la moustache chafouine d'Elliot Gould, du sourire frondeur et légèrement suffisant de Donald Sutherland et surtout des hurlements de plaisir de "lèvres en feu"(Sally Kellerman).