Je dois à Jean-Baptiste Thoret ma plus intense émotion cinéma de ces dernières années, je l'ai assez dit. La faute à son film sur Michael Cimino en 2021 ; cette manière de filmer les habitants de la petite bourgade de Mingo Junction, Ohio, où fut tourné "Voyage au bout de l'enfer", profilant derrière chacun d'eux les figures mythiques du film.
Aussi n'aurais-je loupé pour rien au monde la projection, hier en première mondiale au Festival La Rochelle Cinéma, de son dernier film, "The Neon People".
Un des premiers plans situe d'emblée de quoi il s'agit. Un Cinémascope magistral inscrit le skyline de Las Vegas traversé en plan moyen par un train de marchandise ferraillant, tandis qu'un terrain vague au premier plan laisse deviner, hors champ, deux entrées de tunnel.
C'est à la fois très beau et très misérable, raccourci à peine outré de l'Amérique de Biden and Trump. De Trump à tramp (vagabond, clochard), il n'y a qu'un tremblé minuscule que JB a franchi en partant à la rencontre de ces gens.
JB, "Jay-Be", comme l'appellent ceux dont il fait le sujet de ses films, donne à voir une poignée de personnages pour qui le rêve américain a versé dans le cauchemar du jour au lendemain.
Celui-ci bossait dans un casino, s'est fait renverser par une voiture qui ne s'est pas arrêtée, avait négligé de prendre une assurance santé, que le toubib n'a pas voulu soigner, devenu accroc à la drogue = direction tunnel.
On suit particulièrement une femme, Brandy, émouvante dans sa dignité intacte, dont JBT a gagné l'amitié et lui servit de factotum dans cette jungle de béton et de mort.
En fait, le réalisateur ne dément pas l'adage qui veut que ce qui est à Vegas reste à Vegas, vu que la réalité de ces 800 km de tunnels où survivent quelque 2000 homeless n'existe pas pour l'administration végasienne. Il porte au Monde ce qui est SOUS Vegas, un envers monstrueux, anticipation d'un devenir possible.
Il y a le film, magnifique dans sa volonté de rendre leur dignité, par une image flatteuse aux tons saturés de Vegas, aux neon people, et il y a la manière de le tourner, épique, relevant du making-off que Thoret pourrait en tirer. Des semaines de repérage avec son ingé son Julien Brossier, des mois de tournage en fauteuil roulant car c'est le seul moyen d'évoluer dans ce milieu sans se casser le dos, les types à éviter, les flics à fuir, la flotte enfin qui régulièrement déferle et emporte tout.
Souvent des vies, acculées par les flots contre des grilles fermées.
The Neon People est époustouflant.
Époustouflante aussi, la démarche d'un cinéaste qui va retourner à Vegas courant juillet pour montrer le film à ses amis tunneliers ("je ne sais pas comment, le projeter sur un drap à l'ancienne, enfin on va se débrouiller"), comme il avait projeté dans l'arrière-salle d'un bar "Michael Cimino un mirage américain" à ses amis de Mingo Junction.