De tous les fossés culturels qui existent dans ce monde, je me demande si celui qui sépare les sociétés occidentales de la société indienne n’est pas le plus profond. Dés les premières scènes du film de Sandhya Suri, on est happée par cette ambiance si particulière, cette impression de poussière, de vacarme et frénésie permanents qu’est la rue indienne. Même si le film se situe dans une petite ville rurale du nord du pays, l’impression de foule et de promiscuité est le même que dans une grande ville. « Santosh » est un film assez long, un peu plus de deux heures, mais il part bille en tête et on ne voit pas le temps passer. Lorsque le générique de fin arrive sur l’écran on est presque frustré
d’abandonner cette jeune femme sans savoir de quoi l’avenir de sa vie sera fait
, parce qu’on s’est attaché au regard un peu candide qu’elle porte sur la police de son pays, ses méthodes, ses sales habitudes, et aussi sur la façon dont la police est perçue par les différents castes du pays. Peu de musique, une narration somme toute classique mais quelques forts jolis plans (dont celui de la toute fin avec le train), la réalisation de Sandhya Suri tient la route. C’est son premier long métrage et pour une première fois, c’est un pari sacrément audacieux que de présenter ce genre du film, un film qui brasse beaucoup de thèmes, dénonce beaucoup de travers, soulève pas mal de sujet hyper sensibles. Le casting est dominé par la comédienne Shahana Goswami, qui est de tous les scènes, pour ne pas dire tous les plans. Sans jamais en faire trop, sans jamais céder à la facilité, elle incarne une jeune veuve forcée de reprendre quasiment au pied levé le pose de son mari. Elle était femme au foyer, elle a fait un mariage d’amour et la voilà désemparée.
Sa belle famille la renie (scène quasi surréaliste au début du film), elle doit rendre l’appartement de fonction, elle ne veut pas retourner faire la popote chez ses parents, elle se retrouve donc jetée dans la police, sans formation et sans ménagement.
Armée d’un vrai courage, elle s’investit du mieux qu’elle peut jusqu’à se retrouver sur cette enquête de meurtre, une enquête a priori banale mais qui va décider de son destin. Cette comédienne est assez formidable, tout comme Sunita Rajwar en directrice d’enquête aux méthodes discutables, qui prends la jeune Santosh sous son aile,
non sans arrières pensées
. Le scénario de « Santosh », je l’ai dit, brasse beaucoup de thèmes et fourmille de scènes édifiantes, pénibles, inconfortables à nos yeux d’occidentaux. Sur l’intrigue en elle-même,
on apprend assez tard qui a probablement tué la jeune Devika. Par contre, on devine assez vite qui ne l’a pas tué. Mais en réalité, nous spectateurs, nous somme bien les seuls (avec Santosh) à vouloir démasquer le coupable. La police locale semble s’accommoder du premier suspect venu, de préférence un suspect qui l’arrange, c’est à dire un musulman
. Le film nous en apprend beaucoup sur les méthodes policières indiennes, la corruption et l’incompétence, le machisme, le népotisme mais aussi l’usage décomplexé de la torture et du mensonge. On ne tombe pas de notre chaise non plus, mais c’est une chose de l’imaginer, s’en est une autre de le voir crument à l’écran. Le scénario est dense : la place des femmes dans la société (dot, mariages arrangés, poids des traditions), le système des castes
(« il y a deux formes d’intouchables en Inde, ceux qu’on ne veut pas toucher, et ceux qu’on ne peut pas toucher », cette phrase signée du personnage de Sharma résume toute la société indienne en peu de mot)
, la situation explosive entre indous et musulmans, tous ces thèmes s’entremêlent, s’imbriquent les uns dans les autres pour donner au final un film très réussi.
Il y a aux deux-tiers du film des scènes de torture qui durent (très) longtemps. On voit peu de choses, mais on entend tout, on devine tout par le regard de Santosh. On voit même la jeune femme se soumettre à cette violence inouïe qui pourtant lui est étrangère. Ces scènes, particulièrement difficiles, montre avec une vraie cruauté l’engrenage d’une violence parfaitement vaine, une violence purement exutoire et abominablement contagieuse, et ça c’est le pire
. Nul doute que je vais me souvenir longtemps de ce passage tout comme je me souviendrai longtemps de ce film très réussi.