Septembre sans attendre (Volveréis), Comédie/drame de Jonás Trueba
Un film aussi arachnéen, éthéré et nostalgique qu'un lieder de Schubert. Ç'aurait pu être du Debussy, ou du Ravel.
Aussi ondoyant, cristallin et onirique que la pensée de Kierkegaard : une certaine idée de la transcendance esthétique.
Pourtant on est en Espagne, ça va vite sous le soleil d'un été caniculaire, et dans la réalité, un couple se sépare alors qu'il formait la référence pour familles et amis depuis plus d'une décennie. Pour célébrer leur séparation, ils organisent une fête le jour de la fin de l'été. Comme un mariage, mais à l'envers. Symbolique et sibyllin, ce film est tendre et subtil.
Tendre comme les protagonistes : séparatistes d'un ordre amoureux établi. À leurs risques et périls.
Subtil comme un scénario : métaphore sur le cinéma et plus particulièrement sur le montage d'un film, comme on construit une existence, séquence après séquence, avec une bande-son originale, faite de références classiques strictes et jazz débridées. Un film se crée (qui s'improvise au coeur d'une structure définie) en montant, comme on devient écrivain en écrivant, qu'on vit en inventant... demain. Parce que demain n'est jamais ce que les cartes en disent. N'en déplaise à Monsieur Bergman et son tarot.
Bergman justement. Ingrid Bergman. La référence en matière de séparation dans la vraie vie. C'en est même surréaliste (en cette année de commémoration du mouvement) et jusqu'au boutiste : la séparation s'acte sur un volcan, en vrai et pour l'écran (d'ailleurs au cinéma, elle fut la première actrice interprétant une femme gaslightée devant la caméra de Georges Cukor).
Pour mieux réinventer l'amour. Les choix de l'actrice jugés subversifs au point d'être bannie de son propre pays. Une histoire si romantique, d'un point de vue humain et cinématographique : le néo-réalisme est né.
Le film Jonás Trueba est moins radical, quoique tout autant exacerbé.
À l'image d'un Roberto Rossellini et son "Voyage en Italie", "Septembre sans attendre (Volveréis)" ne montre ni ne raconte grand chose. Pourtant, le "montre" l'emporte et fait chavirer les coeurs. Tel est l'objectif (allez, je tente -Oups) du cinéma au fond. Sa capacité à restituer le réel en reléguant le récit, le montage plus fort que le scénario. Et le décor, discret symbole qui défile derrière les personnages et leur mystère.
Ce film est comme un tableau de Poussin posant devant ses tableaux : un autoportrait. Un leurre, une transparence, l'essence même du cinéma. Face à leur histoire, se mettent en scène la rêveuse Itsaso Arana (Ale. Un faux air de Valérie Donzelli) et l'attendrissant Vito Sanz (Alex. Un faux air de Roberto Begnini).
Le différence ici réside peut-être dans l'idée que la bande-son ne figure pas une banale musique d'ascenseur : elle incarne cette transparence, cet agencement méticuleux du montage entre réalité et fiction, signant une sorte de pacte entre post-prod' et spectateurs. Une transparence pour mieux transcender des personnages à la peine et leur intention équivoque. Tant, qu'elle en devient une litanie presque rassurante. Répétitive jusqu'au stade d'après. Mais chut... je ne spoile rien : il suffit d'aller voir ce film réjouissant et profond sans attendre. Septembre vient juste de commencer.
Un film moderne et presque héroïque, linéaire plus circulaire. "Septembre sans attendre", n'est pas seulement et a priori une saison en enfer. C'est un ensemble poétique, charmant, moins narratif qu'erratique et extatique, si juste face à notre nouveau monde : en déconstruction.