La valse des patins... et le péril jeune en action.
A mi-chemin entre un réel passé et un fantasme d’adolescent sans temporalité, la séquence de patinage de Travolta et Moi nous emporte dans la tragédie de l’adolescence, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus bouleversant : cette insouciance, cette extrême liberté, illusoire et à double tranchant, avant l’inéluctable perte d’innocence. Mais de cette tragédie, se manifeste la puissance d’un temps qui se fige et se transcende par la réinterprétation cinématographique. Se souvenir des premiers amours, des premières fois, qu’elles soient sur un écran de cinéma dans le reflet d’un œil émerveillé comme Toto dans la sublime séquence finale de Cinema Paradiso ; ou dans une réalité éprouvée : un baiser, ravivé par l’intensité d’une pellicule.
Un 16 mm qui d’ailleurs se veut retranscrire cette douce sensation de baigner dans un souvenir. Un souvenir qui n’est pas le nôtre et qui pourtant, nous est familier, connu, vécu et surtout universel. Une séquence s’inscrivant dans un temps figé et passé, et pourtant encore bien présent. Des jeux de lumière datés et colorés au grain si reconnaissable de l’Image, tout le travail visuel s’orchestre ici autour du « souvenir », de l’identification à cette jeunesse qui fut la nôtre ou continue de l’être. L’ambiance festive, de ces patineurs dansants aux spots lumineux, témoigne de ce temps à perte. Comme ce passage culte du slow de La Boum, où l’instant de rapprochement sur la piste de danse est voué à disparaître. D’autant plus que la chanson Reality sonne comme un rappel, un avertissement dans un contexte où l’on s’échappe bien souvent dans le fantasme et l’imaginaire pour fuir une réalité, où l’adolescence est aussi synonyme de crise existentielle et de désespoir.
Sur la glace, les jeunes dansent, s’amusent, s’oublient, et jouissent de l’instant avant que celui-ci ne s’échappe et ne disparaisse dans un hier encore, là où j’avais 20 ans ; sans préoccupation de l’avenir, jusqu’à ce que le suicide de Nicolas ne vienne les ramener à la réalité. D’ailleurs, les séquences de patinage se veulent porteuses d’irréalité, cette singulière sensation de flottement et d’évasion, cette impression de voler, d’être suspendu dans un rêve, prêt à atteindre le septième ciel. Patiner s’assimile alors à une valse, renforcée par la fluidité des mouvements de caméra, comme une poésie de l’innocence où danser reste le seul moyen de rester enfant, de ne pas grandir et de s’évader dans un monde où les blessures intimes n’existent pas. Lorsque Christine tombe sur la glace, cela la ramène au réel, à une certaine « tristitude », où la chute correspond à la contemplation d’une jeunesse perdue, chute qui d’ailleurs agit sur nous comme un phénomène prédicateur d’une tragédie future.
En ce sens, plus que la référence du titre, La Fièvre du Samedi Soir pourrait également être le sous-titre de cette œuvre tant les similitudes nous frappent : derrière la danse, qu’elle soit sur glace ou sur le dancefloor, s’agite un péril jeune qui sous les lumières et les gestes enjoués, finit inexorablement par chuter, d’un pont ou d’un visage métallique. Une tragédie dissimulée sous des apparences : des jeux de lumière (non sans rappeler un certain Carrie de Brian de Palma, où le bal de fin d’année s’éclabousse de sang, et où dans Travolta et Moi, l’acte se finit dans la même émotion mortifère, à la différence que l’hémoglobine n’est pas de porc) aux vêtements multicolores, la jeunesse se cache et ne dévoile ses zones d’ombres, ses fissures qu’à travers des paroles en sous-entendus, des regards et des actes. L’ouverture de la séquence donne ainsi à voir des adolescents « perdus » au milieu d’une fête d’anniversaire : une jeunesse qui doute, de ses choix, de ses amours malgré cette envie constante d’expérimenter.
Le non-raccord entre les chansons et le choix éclectique musical, du folk à l’opéra revisité (Nina Hagen probablement), en témoigne tout particulièrement de cette jeunesse qui teste sans se positionner. Une jeunesse emportée dans le tourbillon de la vie comme le chantait Jeanne Moreau. La mise en scène se veut capturer ce mouvement en insistant sur la fluidité, les gestes corporels et la chorégraphie des êtres comme ce passage où une bande de jeunes se met à effectuer les mêmes mouvements à l’écoute d’un air : l’impression que ces jeunes sont manipulés comme des marionnettes par le destin. Le montage, plutôt rapide, enchaîne les coupes pour renforcer l’aspect choral de l’ensemble. Car l’adolescence se vit seul, mais aussi en groupe, à travers un collectif de problèmes aussi différents que communs (comme le montre avec plus ou moins de réussite la série Skins).
Des adolescents qui se cherchent en définitive, d’où cette envie de Patricia Mazuy de multiplier les points de vues et les regards. Comme pour pouvoir nous identifier à chaque jeune, et y symboliser une des facettes que peut prendre l’adolescence, ou à ses émotions universelles. Le genre du teen movie, souvent employé péjorativement, explore ces fissures, ces doutes, cette universalité depuis sa création : les films de John Hughes et particulièrement Breakfast Club, s’évertuent à créer ou plutôt à recréer un portrait sincère de l’adolescence selon l’époque dans laquelle elle s’inscrit. Mais bien souvent, l’époque n’efface pas les fêlures qui restent les mêmes, identiques face à ce mal être universel et générationnel : la série Freaks and Geeks en serait d’ailleurs un parfait exemple.
Plus encore, cette séquence de Travolta et Moi s’assimile idéalement au Cinéma de Richard Linklater, cinéaste du temps et de l’instant : que cela soit dans son Dazed and Confused, ou dans son Everybody Wants Some !, il s’est toujours concentré à capter l’insouciance d’une jeunesse dans ses instants de grâce avec la plus grande sincérité possible. Ici, les thématiques sont communes, même si l’œuvre de Patricia Mazuy se veut sûrement plus pessimiste : une innocence qui se perd, s’assassine ; tuée par la transition dans un monde d’adulte. Comme le fut à une époque American Graffiti de George Lucas, où la virée délinquante, les premières expériences et le fête de fin d’année implosent dans un dernier plan : celui d’un accident de voiture lié à un excès d’insouciance. Et à cette comparaison, Travolta et Moi propose, non sans une certaine gravité, le suicide de Nicolas.
Mais la comparaison ne s’arrête pas là : dans les deux cas, la musique tient une place primordiale. Qu’il s’agisse de tubes rock des années 1950 ou de l’éclectisme musical de Travolta et Moi, la musique illustre les sentiments des personnages et leurs émotions intérieures : la musique raconte autant que les Images. Si bien que lorsqu’elle s’arrête, le silence nous envahit au point de laisser une frustration en nous : celle des personnages. Néanmoins, notre cœur bat au rythme des chansons, s’enivre d’elles jusqu’à devenir un adolescent patinant sur cette glace des cœurs brisés. Alors que l’ouverture sur du Bob Dylan annonce le rythme de la séquence, le « Je suis une Mouche » (Polnareff) vient témoigner de cette liberté adolescente. Un dernier envol. Comme pour crier un « Emmenez-Moi » intérieur pour s’échapper vers une misère moins pénible au soleil. A cette synchronisation sur les existences des personnages, se contemplent alors des premiers amours qui resteront des mélodies gravées en souvenir.
D’autant plus que cette séquence explore le désir et les émotions refoulées, si caractéristiques d’une adolescence où l’expression passe aussi bien par l’insouciance que le refoulement. D’où la nécessité de gros plans sur les regards, qu’ils soient énamourés ou simplement brisés, tristes, mélancoliques,… marqués par la vie et ses difficultés. Un désir marqué par ces baisers, cette découverte des corps dans l’ombre pour ressentir le « frisson des amours novices » comme le déclame Nicolas à Christine. Seulement, l’ombre des gradins vient former des barreaux, image d’une prison ; celle du désir incarcéré et de l’adolescence. Une jeunesse séquestrée qui patine pour s’oublier : à l’image de cette scène dansante de Christina Ricci dans Buffalo 66’ ou plus encore cette flash mob improvisée dans Ferris Bueller, entrecoupée des réflexions de Cameron doutant de son futur alors même que Ferris fête le présent. Carpe Diem ou lendemains de fête ? Mais quand tout nous échappe, reste à briser la glace jusqu’à en venir à se briser soi-même.
La scène du suicide de Nicolas est ainsi particulièrement intense. Sa montée à l’échelle se fait de manière lente et presque inconsciente, bousculée par le crescendo d’une musique (comme lors de la tentative de suicide de Jenny dans Forrest Gump), et la dissonance des sons diégétiques : ceux des patins coupant la glace, dont les traces symbolisent les marques et blessures intimes de Nicolas. A t