Contemporain du « Salaire de la peur » d’Henri-Georges Clouzot, « Les orgueilleux » d’Yves Allégret entraine donc une comparaison entre les deux sites latinos. Même autarcie et même domination du pouvoir de l’argent sur une population qui survit. Mais le côté festif des « Orgueilleux » et certains personnages humains atténuent son côté implacable et létal. Ainsi, le happy end voulu par la production passe, même si un peu d’ambiguïté l’aurait rendu plus réaliste, alors qu’il aurait été impossible dans le film de Clouzot, et encore moins dans le brillant remake de Friedkin. Bien sur Allégret ne possède pas la maestria de Clouzot et l’adaptation d’un écrit de Jean-Paul Sartre pose un véritable problème quant à la conception cinématographique qu’on peut en faire. Sur ce point Aurenche a remarquablement réussi sa transposition de « Typhus » et le passage de la Chine à un petit village mexicain écrasé de chaleur fonctionne parfaitement. Mais la force des « Orgueilleux » réside surtout dans l’interprétation inhabituelle du couple central. Gérard Philippe, aux antipodes des rôles qu’il a tenu jusqu’alors, joue un médecin déchu, devenu alcoolique à la suite de la mort de sa femme dont il porte la responsabilité, et ne croyant même plus à une quelconque rédemption (la cruelle scène de la danse est un sommet). Michèle Morgan, interprète de la femme vestale, bourgeoise propre sur elle, au comportement et à la moralité irréprochables, interprète ici une veuve perdue, indifférente à la mort de son mari. Au mépris de sa classe elle est prête à un impossible amour avec un laissé pour compte, donc tout au bas de l’échelle. Pour casser encore un peu plus son image, le cinéaste n’hésite pas à l’érotiser, transpirante, en soutient gorge blanc et détachant les bas de ses jarretelles (il paraît que ce fut un énorme choc pour le jeune Martin Scorcese). Oui, mais voilà, malgré la noirceur, détaillée jusque dans les vomissements, les « cucarachas », la crasse, la sueur et l’épidémie, le film se regarde sans grands frissons, ni révolte, contrairement à ceux cités plus haut. A la place il développe une résignation implacable, jusqu’à l’absurde et la musique obsédante de Misraki n’y est pas étrangère. C’est, avec « Dédée d’Anvers » le seul grand film réalisé par Yves Allégret, qui de plus a très peu vieilli, car excepté la scène du miroir, après la tentative de viol (superbe idée, mal scriptée), tout fonctionne.