Première adaptation du fameux ouvrage de Victor Hugo. Paul Leni signe, comme de coutume pour lui, un film réussi, pas parfait, mais de très belle facture, profitant en particulier d’un excellent travail formel.
Visuellement le métrage est en effet très beau. Superbe décors (le final est particulièrement soigné), mise en scène remarquable, avec quelques scènes d’une force rare et une attention particulière portée aux visages et aux regards des protagonistes, et surtout il y a cette ambiance sombre, inquiétante, d’une poésie noire toute romantique. L’Homme qui rit est formellement peu critiquable, et il a cette puissance qui l’a rattaché largement à l’expressionisme. En tout cas, sans savoir s’il relève effectivement de ce courant, on retrouve le soin de Leni pour ses plans, et pour les détails, ce qui, dans un muet, peut jouer énormément dans l’expressivité d’une scène.
Le scénario est de qualité, suivant avec une relative fidélité le texte d’Hugo. Il y a quelques longueurs, notamment dans la partie centrale du métrage, et peut-être que Leni aurait pu rendre son ouverture plus sombre, plus marquante. Il faut savoir en effet que tout en suivant le livre, Leni en a retiré pas mal d’aspects sombres, tristes, pour offrir un métrage romantique mais assez sobre du point de vue des émotions exprimées. Cela se voit dans le début, mais surtout dans la fin, bien plus consensuelle que dans le livre, et dans l’ensemble on peine à vraiment sentir le héros souffrir de sa mutilation. Mutilation, qui, disons-le, n’est pas en elle-même spécialement effrayante. Evidemment, il y a des scènes où le héros est humilié pour sa déformation, notamment à la Pairie, mais ça reste un peu consensuel tout de même. Est-ce un refus de misérabilisme facile ? Peut-être, mais le film perd un soupçon en terme de souffle.
Niveau casting, c’est convaincant. Une Mary Philbin parfaite dans son rôle de Dea, une Olga Baclanova pas moins efficace et charmante (les deux actrices se ressemblent d’ailleurs beaucoup), et entre elles deux Conrad Veidt. Il est à la hauteur de son rôle, un peu excessif parfois, mais il est vrai que parvenir à rendre des émotions diverses en gardant toujours le sourire, impliqué de surjouer un poil, d’exagérer la gestuelle par exemple. Plus décevant est l’acteur jouant Ursus, Cesare Gravina, qui lui surjoue en effet. Il apparait heureusement peu, c’est préférable au final. Pour le reste de bons interprètes, rien à redire de spécial.
Malgré ses quelques lacunes, L’Homme qui rit est un film très soigné, qui mérite le visionnage. Paul Leni est un technicien expérimenté, pas forcément génial, mais indéniablement capable d’offrir de très bons divertissements, et on est ici face à l’un de ces films réussis. Il manque un souffle d’émotion, un souffle de gravité aussi, le parcours du héros ressemblant plus ici à celui d’un conte de fée, que du parcours du combattant. 4