Le réalisateur de "The Doom generation" frappe un très grand coup avec ce superbe film, aussi étrange qu'énigmatique, qu'est "Mysterious skin". Véritable coup de poing, ce long-métrage est une réussite pure. D’ordinaire habitué à livrer des pellicules trash, survitaminées et sulfureuses, il signe cette fois une œuvre intense, glauque et dérangeante, qui ne mégotte sur aucun tabou, lève les interdits, sans pour autant jouer la carte de la provoc’ à deux balles. Transporté de la première à la dernière image sans la moindre faute de rythme par une mise en scène ultra-précise et sans artifices, et des interprètes plus que convaincants, cette histoire difficile et troublante, souvent sordide, toujours juste, ne flanche à aucun moment. En quelque sorte, « Mysterious skin » peut être assimilé à une sorte de « Requiem for a dream ». Je veux dire au niveau de l’électrochoc provoqué par la force émotionnelle et la puissance oppressante du récit. Pas au niveau des sujets abordés ou du traitement de la réalisation, beaucoup moins sophistiqué et psychédélique ici. Gregg Araki, avec une maturité et une pertinence vraiment remarquables, qu’on ne lui connaissait pas jusqu’ici, filme son histoire de façon construite et linéaire, se permettant le luxe d’être intimiste tout en restant très subjectif. Il ne cherche en aucun cas à faire du tape-à-l’œil, prendre parti ou essayer d’en tirer une quelconque morale qu’il nous imposerait. Son travail est en tout point remarquable et très abouti. Ses choix de cadrages et de mise en scène nous font vivre l’histoire comme de l’intérieur, le tout renforcer par l’utilisation à bon escient de la voix-off, qui donne l’impression que Neil et Brian se confit à nous, à tour de rôle. Ici on voyage surtout dans l’âme saccagée de deux jeunes hommes perdus. L’un culpabilise, s’endurcit en surface en se détruisant de l’intérieur, se fabrique un cœur de pierre pour ne s’accrocher à personne et ne se pose plus de question. L’autre refoule, cherche des réponses à ses cauchemars, à ses troubles qu’il n’explique pas et qui le force à vivre enfoui dans l’oubli, dans l’inexactitude, l’empêchant d’être. On assiste à leur déchéance progressive et leur quête de vérité de gamins déboussolés, sans que cela ne verse dans la complaisance rassurante. Les interprètes de ces deux instigateurs principaux sont d’ailleurs pour le moins excellents. Dans des rôles durs, ils insufflent vie à Neil et Brian avec beaucoup d’impact, notamment Joseph Gordon-Levitt. Le scénario, inspiré d’un roman du même nom, aborde, sans se voiler la face, plein de sujets défendus. L’homosexualité, la prostitution adolescente, et quelque chose de très rare sur les écrans, la pédophilie. Sans chercher à apporter des réponses ou un jugement, tout est sondé de manière honnête, jamais malsaine, mais sans fard, avec parfois même une cruauté aussi frappante qu’un direct à l’estomac. On n’en fait pas trop, ce qui empêche de tomber dans le « m’as-tu vu ? » ou la trashitude, souvent présente d’ailleurs chez Araki par le passé. Malgré quelques moments presque insoutenables et une atmosphère toujours bien sombre et bien poisseuse, ce « mysterious skin » est toujours réalisé avec beaucoup d’habileté et de pudeur, ne flanchant jamais dans le mauvais goût. L’indicible est dit de manière très explicite. Les thèmes de l’enfance détruite qui empêche de se construire pleinement, de la réaction aux traumatismes propres à chaque individu, sont ici disséqués avec discernement, sans psychologie racoleuse de bas-étage ou sentimentalisme puritain. Véritable drame humain perturbant et percutant, lyrique et romanesque, il fait partie de ce type de film (malheureusement) bien trop rare, qui ajoute une superbe ligne à la filmo de ses créateurs et acteurs, mais qui passe inaperçu (seulement 56 000 entrés en France) entre les sorties de blockbusters et autres comédies populaires, finalement bien plus nauséabonde que celui-là. Côté spectateurs, on en ressort sous le choc et sous le charme, le genre d’œuvre qui ne fait pas dans la demi-mesure, on aime ou on déteste, moi, les mots vont finir par me manquer pour vous dire combien j’ai aimé, donc je ne vais pas tarder à conclure… En somme toute, une sorte de petit chef-d’œuvre tranchant comme un rasoir, un film bouleversant qui prend aux tripes, et qui arrive à parler (enfin) de crasse avec classe... D'autres critiques sur mon blog, http://soldatguignol.blogs.allocine.fr/