Pour sa troisième incursion sur grand écran, Godzilla impose d’emblée ses directives : il ne sera plus tout seul à régner sur un film, préférant affronter un adversaire à sa taille (sa « filmographie » le prouvera, à quelques exceptions près). Le Retour de Godzilla ouvrait le bal en 1955 (avec Anguirus), ce troisième film datant de 1962 continue sur cette lancée. En inventant le principe du crossover, qui permet la rencontre entre deux films ou univers différents (le plus connu étant Aliens vs. Predator). Alors, quelle bestiole notre gros lézard affronte-t-il ici ? Mothra, qui vient d’avoir son film en 1961 ? Rodan, qui n’attend que ça depuis sa première apparition en 1956 ? Non, il s’agit de King Kong. Oui, vous avez bien lu !
Au lieu de piocher dans son bestiaire qui commence à se diversifier, les Japonais ont préféré offrir à Godzilla à combat avec une créature typiquement américaine (pas besoin de préciser que pour avoir les droits, cela n’a pas dû être une partie de plaisir !). Et c’est là que King Kong contre Godzilla avait de quoi promettre : un duel entre les deux titans les plus acclamés du cinéma, véritable métaphore du choc des cultures. Le Japon contre les États-Unis ! Voilà ce à quoi ce film pouvait faire penser, nous replongeant illico dans le traumatisme post-Seconde Guerre mondiale dont avait encore du mal à se remettre le Japon (en même temps, deux bombes atomiques dans la figure plus une défaite, on les comprend). Assurant une sorte de retour à un divertissement qui avait un message derrière tout cela à délivrer. Sans compter que c’est Ishirō Honda, initiateur de Godzilla premier du nom et des autres Kaijus (Mothra, Rodan), qui prend ici les rênes de ce projet. Ce qui promettait un chouïa de qualité. Ce qui serait, au final, croire au Père Noël…
Si Le Retour de Godzilla semblait avoir oublié le message anti-nucléaire que le gros lézard représentait, il est dans ce film carrément effacé (à tout jamais ?). Il n’y a rien, mais alors rien du tout, qui soit scénaristiquement travaillé dans ce film ! Le duel entre le monstre japonais et la bestiole américaine avait de quoi faire fantasmer sur cet affrontement entre idéologies et cultures (les Japonais pouvant, en quelque sorte, reprendre leur revanche sur les Américains). Mais le résultat ne reste qu’au postulat : une bête rencontre entre les deux créatures, point ! Où tout n’est que destruction, avec au milieu de tout cela de pauvres humains qui ne savent quoi faire à part courir dans tous les sens ou bien admirer le spectacle de loin. Et encore, si ce n’était que cela, il y aurait eu de quoi s’amuser à l’instar du Retour de Godzilla.
Mais c’était sans compter sur un scénario d’une connerie monumentale ! Qui singe tout ce que les créateurs de Godzilla et de King Kong (serait-ce lui qui singerait de la sorte ?) ont entrepris jusque-là. D’une part, les personnages humains. Qui, s’ils se montrent aussi inutiles que dans le film précédent (et les autres du même genre, sauf le premier Godzilla), se révèlent être d’une débilité terriblement profonde. Leur faisant cracher des répliques qui frisent le ridicule. Les faisant agir comme des enfants en bas âge. Et cela à cause du scénario donc, qui veut instaurer un peu d’humour à ce genre de film. But fort louable, mais les limites du digeste ont été dépassées depuis fort longtemps au moment de l’écriture. Offrant des pans scénaristiques qui frôlent l’idiotie épileptique.
Comme exemples : depuis quand King Kong a-t-il besoin de la foudre pour regagner sa force et de l’énergie ? Dans les autres films sur Godzilla, où est-il dit qu’il craint l’électricité (pas dans le premier en tout cas, où il souffre en passant au niveau de câble électrique, mais ne s’affaiblit pas pour autant) ? Et surtout, le fait de transporter un monstre de plusieurs tonnes via des espèces de gros ballons pour un voyage dans les airs est une action crédible ne serait-ce qu’une seule seconde ? Et de ce genre de bêtises, le film en regorge à chacun de ses plans ! Allant même jusqu’à parodier ce pauvre King Kong, qui n’avait franchement rien demandé (reprenant pour un instant sa quête d’une fille, qui ne sert strictement à rien dans ce film).
Et n’oublions pas les effets spéciaux, qui n’ont franchement pas évolué depuis les années 50 ! Surtout que là, le film est en couleurs ! Pourquoi ce détail a de l’importance ? Tout simplement du fait que cela ne cache plus les défauts que ces effets avaient du mal à dissimuler. En effet, le côté sombre du noir et blanc masquait un chouïa les maquettes, les imperfections des costumes en latex… qui sont ici révélés au grand jour ! Et nous faire dire haut et fort « c’est moche ! ». Surtout King Kong, qui aurait franchement pu ressembler bien plus à un singe (le film de 1976 montrera qu’un bonhomme dans un costume pouvait tout aussi bien l’affaire que de l’animation en stop motion). Ou encore certains bâtiments qui s’écroulent à cause du combats des deux titans, dévoilant un aspect lego tout sauf discret. En passant par la pose que se tape à chaque victoire nos monstres (Kong se mettant presque à danser, Godzilla « applaudissant »).
Il ne reste que l’incrustation à l’image d’une véritable pieuvre (pour agrandir le bestiaire de ce film), plutôt réussie pour un film de cette époque. Ce qui ne sauve en rien ce véritable désastre ! Vous ne me croyez toujours pas quand je vous dis que ce film était une attente ? Suffit de voir les chiffres du box-office, affichant l’un des scores les plus imposants de la saga toute entière ! Et quand je déclare que King Kong contre Godzilla est loupé de bout en bout ? Suffit que vous regardiez par vous-mêmes !