En réalisant « La Marseillaise » Jean Renoir voulait faire un film à la gloire du front populaire. En prenant la période glorieuse de la révolution, mais en s’arrêtant avant la terreur, il espérait un parallèle avec la France de l’époque. Le brave peuple, patriote, travailleur et vertueux (le front populaire) face aux méchants aristocrates, oisifs, rentiers et cruels (la droite). D’ailleurs, l’un d’eux répondant au « vive la nation » des marseillais par « vive la droite », alors que le qualificatif politique de « droite » n’apparaitra qu’au dix neuvième siècle. Tout est donc permis, à commencer par cette réflexion sur le rôle important que le bas clergé joua dans l’insurrection, mais en passant sous silence les massacres perpétués contre eux par les sans culottes. De même pas une évocation sur la réticence des paysans, très pieux et hostiles à la violence. Au contraire, ils sont montrés comme participant spontanément et avec enthousiasme au mouvement révolutionnaire. Mais le plus beau reste à venir. Louis XVI est montré comme un roi hésitant car comprenant certaines revendications de ses sujets et exaspéré par le comportement de son entourage. Archi faux car il ne participait que très rarement au conseil des ministres et encore moins aux fêtes, préférant la chasse et la serrurerie. La gouvernance fut ainsi laissée aux soins de premiers ministres incompétents et peu lucides. Marie Antoinette n’eut aucune influence, potiche qui passa son temps à rétablir des mœurs décentes dans une cour que louis XV le débauché pédophile avait façonné à son image, tout en réduisant drastiquement des dépenses somptuaires (d’où la haine que lui vouait la cour). La scène où elle intervient est donc un bobard manichéen à charge. Très étonnante par contre est cette réflexion sur le fait que les pauvres ne peuvent s’inscrire dans l’armée révolutionnaire. Contradictoire avec l’idéal égalitaire, mais historiquement exact, elle n’a pas du plaire à la CGT, l’un des commanditaires. Techniquement, peu de choses à reprocher dans ce périple de Marseille à Valmy, en passant par Paris et la prise des tuileries. Le cinéaste a pris le parti de l’anecdote, en suivant, comme un reportage, un groupe tout au long des 135 minutes que dure le film, gommant volontairement les grandes figures dont les noms sont seulement cités : Robespierre, Danton et Marat. En gommant aussi la prise de la bastille et en transformant la prise du fort de Marseille en « Kolanta », se dégage cette impression que la révolution fut une liesse populaire. Avec le massacre des Tuileries et la mort du héros le plus sympathique de par sa gentillesse (sortez vos mouchoirs !), le cinéaste nous rappelle que ce n’était pas le cas. Pour être complet, Pierre Renoir, Louis Jouvet, Ardisson et Andrex sont excellents. Mais, malgré des qualités techniques certaines, ce film de propagande fait preuve de grandeur uniquement lors de l’arrivée des marseillais (en chantant) à Paris. Le reste, au lyrisme d’un beignet, mérite deux étoiles par ce que c’est Renoir.