ABC Africa n’est pas un documentaire, c’est un récit de voyage. Le film débute par le plan d’un fax invitant Kiarostami à venir réaliser un film sur l’UWESO, organisme Ougandais géré par des femmes et qui s’occupe des nombreux orphelins que compte le pays, ravagé par le SIDA. Quelques chiffres exposés en début de film suffisent à prendre conscience de l’ampleur du désastre. Au cours d’un trajet en voiture, Kiarostami interview son guide qui lui explique les principes de fonctionnement de l’UWESO. Tout est dit. En 10 minutes de film, Kiarostami a exposé le problème. Dès lors, le film abandonne son rôle documentaire. Le cinéaste, équipé de sa caméra DV, tente désormais de nous faire ressentir une certaine réalité sociale et culturelle de ce pays, que nous découvrons en même temps que lui. Kiarostami ne connaît pas l’Ouganda, il n’a aucun discours à tenir. Alors il se tait, et il filme. Il se ballade avec sa caméra s’attardant sur ce qui attire son attention, et la notre dans le même temps. On se dit souvent qu’équipés comme lui d’une caméra, nous filmerions la même chose. Son regard et notre regard sont les mêmes, ils découvrent. Kiarostami s’attarde sur les visages, les regards, les corps qui dansent, tout en réfléchissant, en direct, à sa mise en scène. Ainsi, le plan d’un enfant ligotant un fagot de bois bien trop gros pour lui fera écho au plan bouleversant d’un père ligotant de cadavre de son enfant à l’arrière de son vélo. Sans rien dire, Kiarostami nous en montre plus que tout documentaire qui se serait voulu informatif, mais qui ne nous aurait pas épargné une vision occidentale des problématiques, bourrée de commentaires subjectifs déformant la réalité de ces vies afin de soutirer une larme de compassion au charitable spectateur du nord... Ce qui est ici très appréciable, c’est le respect total, sans ingérence ni intrusion, dont le cinéaste fait preuve pour filmer la vie des Ougandais, et qui devrait nous faire bien relativiser sur certaines de nos croyances.