Avec Saint-Cyr (2000) Paricia Mazuy avait l’ambition de retracer l’histoire de Saint-Cyr (Maison Royale de Saint-Louis), aux lisières du château de Versailles, pensionnat pour jeune filles de la noblesse pauvre. Le pensionnait a été créé en 1686 par Louis XIV à la demande de son épouse Françoise Aubigné (marquise de Maintenon) dans le but d’instruire ces jeunes filles et de leur donner la liberté de critique et de pensée. Le virage de cette institution vers la rigueur religieuse et le mysticisme quiétiste en 1691 fut donc spectaculaire.
Comme le film est tourné en décors naturels et que les petites filles puis les jeunes filles en sont les héroïnes, cette ambition demandait de gros moyens et surtout une grande maîtrise. L’objectif n’est pas totalement atteint, tout n’est pas réussi, mais, étonnamment, je pense que ce qui était facile à réussir ne l’est pas et qu’inversement Patricia Mazuy et ses collaborateurs surmontent les aspects les plus ardus du film, certains aspects avec un grand brio.
Le film n’avance pas. Il dure deux heures, les producteurs auraient dû en couper un quart pour éliminer les scènes qui ne font pas progresser l’action. Du coup les scènes qui traînent, les cadrages parfois incertains (ou même ratés : têtes coupées, micro dans le champ, flous etc), le manque de rythme dans le montage, les mouvements de caméras inutiles et contraires au style général etc, tout cela agace en permanence ... mais pas autant que la musique de fond de John Cale complètement inadaptée malgré ses solos de tambours répétés qui veulent faire grand siècle. Cela aurait été si facile et si bien venu de développer délicatement, en sourdine, un peu de Lully ou de Charpentier : Cale est une erreur d’autant plus grave et qu’elle est volontaire de la part de P.Mazuy.
JP Kalfon (Louis XIV) et JF Balmer (Racine) font leur travail, présentent correctement des hommes du dix-septième et, bons acteurs de théâtre, parlent clairement. En revanche, Isabelle Huppert (Mme de Maintenon)est beaucoup trop présente dans le film – c’est d’ialleurs non conforme à la réalité historique. Toujours énervée, ennuyée ou en colère (ses seuls trois registres) - en tout cas toujours désagréable - elle cabotine comme elle fait maintenant depuis 25 ans, depuis que Chabrol n’est plus là pour la contrôler et/ou la conseiller. Quand elle s’énerve, c’est le pire : on ne comprend pas un mot, elle bat des bras (on croit qu’elle va s’envoler), elle sombre dans le ridicule. Ses colères ne sont pas mieux mais au moins elle se tait un peu. J’aime beaucoup cette actrice et sa filmographie est une des plus remarquable du cinéma mondial, mais là, son rôle, beaucoup trop lourd pour ce film, tourne au désastre, surtout à la fin lorsqu’elle se transforme en lamentable bigote : personne n’y croit, même pas elle. Pour gérer Huppert, il aurait fallu une grande autorité. Mazuy qui a fait passer le financement de son film grâce à la star, ne l’avait pas.
Contrebalançant ces graves défauts ils y a des bons points qui ont été plusieurs fois soulignés : les costumes sont superbes et surtout portés avec naturel par tous, acteurs professionnels ou non ; les décors sont bien choisis et très bien filmés. En particulier l’Abbaye aux Dames de Caen avec ses superbes escaliers, façades, parquets et tapisseries convient parfaitement (certes ce n’est pas un bâtiment de Hardouin-Mansart comme le pensionnat d’origine devenu Lycée Militaire, mais on se retrouve immédiatement dans l’époque). Les chevaux sont excellents -et ce n’est pas rien -, même si Louis XIV manque d’entourage, d’escorte militaire notamment.
Ce n’est pas grave car on ne cherche pas le réalisme mais une sorte d’évocation stylisée et crédible, un peu comme dans Bresson : comparaison écrasante évidemment mais, on va le voir, supportable.
En effet, la grande surprise du film, c’est l’excellente direction et l’immense talent que déploient les petites filles et les jeunes filles amateures qui jouent les pensionnaires. Parmi celles-ci, il faut citer Jeanne Le Bigot et Nina Meurice qui jouent Lucie Fontenelle (enfant puis jeune) et Mathilde Lechasles et Morgane Moré qui jouent Anne Grandcamp, les deux véritables héroïnes du film. Elles ne sont pas seulement justes toutes les quatre, elles transcendent tout : leur texte et leur actions. C’est évidemment le cas quand elles jouent Esther puis Athalie, mais pas uniquement.
Elles ne prononcent certes pas les patois avec le bon accent, mais elle le disent clairement et leur soudaine transformation en enfants aristocrates, adoptant le maintien rigide du siècle et parlant le beau français de Marivaux et Molière n’en n’est que plus belle. Dans toutes les scènes difficiles : amusement à l’arrivée, désarroi devant les cours, apprentissage du français, confrontation aux chevaux ou aux autruches amenées par Louis XIV et plus tard émotions brûlantes d’adolescente, énervements et excès mystiques, elles sont toutes les quatre excellentes et les autres aussi, ce qui suppose évidemment un travail de groupe extraordinaire dont le supplément dvd ne donne que quelques aperçus.
Ainsi, Saint-Cyr, devient un des films dans les quels les enfants puis les jeunes filles agissant en groupe ou individuellement, sont les plus justes et le plus émouvantes. Cette extraordinaire qualité du film – la direction de jeunes acteurs - emporte tout, fait passer les défauts, la lenteur etc et finalement convainc.
On a appris beaucoup sur le dix-septième siècle car tout est historiquement fondé dans cette entreprise, notamment la place des filles de hobereaux délaissées par la société et leur nullité culturelle (Maintenon venait de cette noblesse là) ainsi que la folie mystique de la fin du XVIIème avec les extrémiste quiétistes (Maintenon) ou janséniste (Pascal), deux courants opposés qu’on nommerait aujourd’hui intégristes. Les films où l’on apprend beaucoup sont de bons films.